Ce soir, c’est ragoût de chaton aux morilles

Qu’est-ce qui justifie que l’on mange certains animaux et pas d’autres ?

Il y a quelques années, je discutais avec une petite fille de ma famille, qui était scandalisée que les gens mangent du cheval. Elle faisait de surcroît de l’équitation : le cheval était dans son esprit plus « un ami » qu' »un rôti », pour reprendre un slogan que l’on pouvait voir en 2008 dans les stations du métro parisien (l’image ouvrant ce post en est un détournement). Bien sûr, interrogée sur la justification de la consommation de bœuf ou de poulet, elle est restée coite. Principalement parce que bon, à 6 ans, on ne dispose pas nécessairement des moyens rhétoriques suffisants pour se lancer dans un panégyrique sur le faux-filet ou le magret de canard.

Alors, je lui ai montré des photos de cadavres de vaches en lui disant « TU VOIS CAAAAAAAA CE SONT DES BEBES ANIMAUX MOOOOOOOORTS ». Parce que la maïeutique c’est surfait et que c’est drôle de traumatiser les gamins.

Bon, j’ai pas vraiment fait ça.

J’ai aussi rencontré ce genre de posture chez des adultes. Je parle de posture, pas d’opinion, car ces « discriminations » spécistes sont souvent – toujours – véhiculées par la société sans que l’on y réfléchisse. Le chat est un animal de compagnie, le bœuf est un animal utilitaire ou un aliment, le lapin est tantôt un animal de compagnie, tantôt un aliment.

Allez consulter un dictionnaire aux termes de « canard » et de « chien ». Dans le premier cas, la définition renvoie à l’animal et à sa viande ; dans le deuxième cas, à l’animal vivant seulement. Est-ce à dire qu’ontologiquement, le chien est incapable d’être un aliment ? Bien sûr que non : en Chine et en Corée, on mange du chien. Et de la même manière, je ne suis pas convaincu qu’à l’entrée « bœuf » d’un dictionnaire de hindi, on retrouve une référence au steak. Quant au dictionnaire officiel de la République de Karnivorland, il comprend en page 217 une liste très fournie des différentes façons de préparer l’humain.

Même moi, pourtant végétarien depuis des années, j’ai un certain haut-le-cœur à voir la marmite de chien illustrant la page wikipédia sur la cynophagie, que je ne ressens pas à la vue d’une bouillabaisse ou d’un ragoût de porc. Pourquoi donc ? Parce que la société m’a modelé en ce sens. Je me suis habitué à voir certaines espèces mortes, dans mon assiette, et pas d’autres. Que cela soit bien clair : aucun critère rationnel ne peut justifier le fait que l’on ne mange pas de chien ou de chaton si l’on mange du bœuf ou de l’agneau.

Moralité : mangez des chato… HUM.

Moralité : je pense que la difficulté principale de toute démarche antispéciste, ou pour aller vite de l’arrêt de la consommation de viande, c’est le décalage de perception que l’on a entre l’animal vivant et la viande. On ne fait pas le lien entre une vache et un steak. Les personnes que je connais qui ont arrêté de manger du veau ou de l’agneau par exemple l’ont notamment fait parce qu’elles ont finalement réuni mentalement les images d’un petit agneau d’un côté, et d’une côtelette de l’autre. A titre personnel, je trouve déjà ça très bien, car c’est pour moi un premier pas. Beaucoup de vegan me taperont dessus parce que c’est spéciste, mais c’est pragmatiquement efficace, je pense ; c’est une phase de transition. Et puis des vegan qui tapent, ça fait pas très mal : pensez-donc, avec toutes leurs carences.

Plusieurs difficultés se posent dans cette démarche :

  • Ces personnes avaient déjà une sorte de sensibilité quant à ces sujets, car il faut être réceptif à la souffrance des animaux pour commencer à adapter petit à petit son alimentation. Certains autres s’en fichent royalement, et peuvent manger un sandwich de dauphin vivant sans sourciller. L’argument de la discrimination ne marchera pas avec ces derniers.
  • Un petit agneau tout mignon, les yeux grands ouverts, a plus de chance d’attirer la sympathie qu’un gros porc super sale qui pue la merde. Pour le dire autrement, les animaux ne sont pas tous égaux devant notre compassion.
  • La pub, la pub, la pub, les grands magasins, la société, la pub, le grand capital, la pub, la pub et enfin la réclame s’évertuent à cultiver cette distanciation entre l’animal et le steak. Parce qu’un abattoir, c’est pas vendeur.

En conclusion, ce traitement discriminant peut être le départ d’une meilleure compréhension de la souffrance animale : ça commence par les chevaux ou les chats, mais à terme, je ne perds pas espoir que le déclic se fasse pour l’ensemble des animaux non-humains.

Jeu bonus : quelques mots pédants se sont glissés de manière impromptue et chafouine dans cette logorrhée épidictique de mauvais aloi. Saurez-vous les trouver ?

6 réflexions sur “Ce soir, c’est ragoût de chaton aux morilles”

  1. Je dois dire que la maïeutique est spécialement vicieuse. J’ai dû relire 3 fois.
    Logorrhée épidictique, et ça alors ça si je le ressors un jour, je te coule une médaille moi-même.

  2. Sur cette question justement, j’ai vu passer il y a quelques temps (référence hyper-précise) une étude, australienne me semble-t-il (re), qui tendait à montrer que le choix d’une certaine culture de manger ou pas certains animaux était lié à l’intelligence que cette même culture attribuait à ces dits animaux. Moins on considérait un animal intelligent, moins on avait de scrupules à le manger. Il se trouve que c’est aussi un argument utilisé par certains protecteurs des animaux : plus nos amies les bêtes sont vues comme sensibles et douées de raisonnement (même basique), plus elles méritent d’être protégées.
    Évidemment, je trouve ça très tendancieux,comme raisonnement, voire franchement dangereux. Car cela sous-entend qu’un être vivant ne mérite notre respect qu’en tant qu’il se rapproche tant soit peu de nous – puisque, évidemment, cette question de « l’intelligence » est éminemment anthropomorphique. Quid des êtres (animaux ou non) qui nous paraissent trop éloignés de nous et avec qui on ne peut pas se relier ?
    Il y a encore du boulot à faire sur l’acceptation de l’altérité…
    (Et au passage, parce que c’est mon premier commentaire ici, je tiens à te remercier pour ton orthographe. C’est bon de lire un blog sans avoir à se frotter les yeux toutes les trois lignes.)

    1. Je tant pri sa fé pllézir.

      Hum.

      Oui, l’intelligence est souvent mise en avant… Je partage tout à fait sur le côté anthropomorphique ! Mon chat n’a pas son bac 😉

    2. C’est pas du tout pour critiquer ta blague avec Donald Trump que j’ai trouvé super drôle, mais j’ai remarqué récemment à quel point les pauvres cochons sont des insultes dans beaucoup de langues (et des noms d’animaux en général).
      Je pense que ce n’est pas étonnant, c’est bien représentatif de notre société spéciste.
      Mais bon, ça m’attriste toujours un peu… surtout quand c’est moi qui sors des insultes spécistes par habitude!

      1. Heureux de savoir que certains cliquent sur mes blagues cachées 😉

        C’est vrai, les cochons sont victimes de suidophobie dans de nombreuses langues. Les chiens aussi, de cynophobie, et je suis à court de latin/grec pour continuer la liste, mais c’est sans doute regrettable !

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