Commisération d’enquête pour les animaux ?

Ce que je ferais pas pour vous.

J’ai épluché les 316 pages du « rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français et enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 septembre 2016″.

Rapport qui débute d’ailleurs par une citation de Milan Kundera, parce que ça fait intelligent. Je cite régulièrement de fausses phrases de Kundera pour briller dans les soirées. Ça marche aussi avec Oscar Wilde ou Gandhi. Parce que visiblement, ce que Gandhi n’a jamais dit sera toujours plus intelligent que ce que je peux dire moi. Bref.

Du coup, long article aujourd’hui, avec pas mal de citations. Et désolé de ne pas avoir pu écrire ça le 21 septembre mais j’ai une vie à côté de vous. si, si. J’vous love.

L’origine de cette commission d’enquête est la diffusion par L214 (ce n’est pas moi qui le dit, c’est le rapport lui-même) des images des abattoirs. Preuve, s’il en était encore besoin, que les investigations sont l’un des moyens les plus efficaces pour attirer l’attention du grand public sur ce qui ne va pas. Les commissions d’enquête ont pas mal de pouvoirs :

La spécificité des commissions d’enquête réside dans leurs pouvoirs particuliers : obligation de répondre à leurs convocations, auditions sous serment, pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place des rapporteurs, possibilité de rendre publiques leurs auditions (retransmission télévisée). Le non-respect de ces obligations peut donner lieu à des poursuites pénales.

L’enquête a duré six mois. Quid alors ?

Ça commence assez mal. Dès les premières pages, on nous spoil la fin :

Je souhaite également dire ma conviction que les propositions fortes contenues dans ce rapport permettront de faire réellement progresser le bien-être animal dans les abattoirs. (p. 14)

Ou alors :

Évitant ainsi tout déni de réalité, […] la commission a concentré son travail sur l’examen de la situation réelle, les règles en vigueur, les moyens matériels et humains mis en œuvre pour les respecter et en contrôler l’application, et la nécessité d’évolutions pour une meilleure prise en compte du bien-être animal et la réduction de la souffrance des animaux. Ces évolutions sont indispensables pour rétablir, dans la transparence, la confiance des consommateurs de plus en plus sensibles, et à juste titre, à la thématique du bien-être animal. (p. 17)

Ou encore :

C’est dans la continuité de la démarche proposée que réside la principale condition d’un progrès durable, garantie de l’avenir d’une filière légitimement fière de ses réussites techniques, qui doit aussi viser l’excellence en matière de bien-être animal, de la naissance à l’abattage, pour que chacun de ses acteurs soit reconnus par la société et fiers de leur métier à son service. (p. 18)

Et bam.

Bon, je m’attendais pas à ce que les parlementaires soient si scandalisés qu’ils remettent en cause tout le système, mais quand même. On ne remet en tout cas pas en cause le principe des abattoirs, la « nécessité » de la consommation de viande. On veut simplement que le consommateur s’y retrouve, parce qu’il veut être sûr que son poulet a été au spa et qu’on lui a dit des mots gentils avant de se faire trucider.

Oui, clairement, tout ça est de la poudre aux yeux. Et, je ne le dirai jamais assez, mon espoir me vient davantage de ce qui a poussé des parlementaires à former une commission d’enquête (la peur des lobbies, la prise de conscience du fait que ces questions prennent de l’importance) que des conclusions tirées par cette commission, nécessairement partisane et à la botte des groupes de pressions.

Et non, je ne suis pas conspirationniste (sauf qu’Elvis est vivant et que Paul McCartney est mort). Je connais juste assez bien ce monde-là.

Le président, Olivier Falorni (noté 8,8/20 sur le site Politique & Animaux, ce qui n’est pas très glop mais toujours mieux que Sarkozy par exemple qui a 0,7) déplore que les animaux ne bénéficient pas d’une certaine reconnaissance dans la Constitution :

Je suis persuadé que, de même que nous avons intégré dans notre Constitution une Charte de l’environnement, marquant ainsi notre prise de conscience des enjeux écologiques, nous serons amenés dans les dix ans à venir à intégrer une Charte des droits des animaux. (p. 15)

Paroles, paroles paroles ? Peut-être. Mais si un homme politique prend la peine de dire ce genre de choses, c’est qu’il sait qu’il y trouve son intérêt, et cela signifie que les revendications « droits des animaux » (au sens le moins philosophiquement marqué possible) sont de plus en plus reconnues comme légitimes. Alors qu’à une époque,  comme le rappelle le juriste Jean-Pierre Marguénaud :

J’ai rappelé avoir soutenu ma thèse en 1987 et, pendant longtemps, son sujet m’a valu des lazzis, des quolibets : s’intéresser à l’animal paraissait sympathique, mais pas très sérieux. (p. 46)

Et un mec qui utilise le mot « lazzi« , c’est quand même la classe.

Le rapport soulève par ailleurs des points intéressants, notamment sur l’évident lien perdu entre viande et animal. En France, et c’est le cas un peu partout dans nos sociétés industrielles, les gens ne voient plus leur steak comme un animal mort, pour reprendre le titre d’un livre de Martin Gibert. La journaliste et écrivain Anne de Loisy relève par exemple :

Nous nous retrouvons face à un constat assez effrayant : les Français sont totalement déconnectés de la réalité de l’élevage et de ce qu’ils mettent dans leur bouche pour se nourrir. C’est encore pire chez les jeunes : un enfant sur deux ne sait pas que le jambon est fait à partir du cochon ; qu’un nugget, c’est du poulet ; et que le steak haché, c’est du bœuf – encore que dans certains cas, ce n’est pas le cas ! (p. 24)

Je le vois tout le temps, et vous aussi, très certainement. Des gens qui ne peuvent pas manger de la viande qui « ressemble » trop à l’animal (poulet entier, tête de veau…) mais qui n’ont aucun problème à manger la même chose dès que l’aspect visuel est modifié et que le lien psychologique est rompu. Des gens qui sont scandalisés dès que leurs lasagnes de bœuf contiennent du cheval, parce que, parce que bon. Et c’est valable pour tout : qu’y a t-il derrière vos baskets ? Derrière vos appareils électroniques ? Êtes-vous sûrs de connaître les coulisses de leur fabrication ? Le voulez-vous vraiment ?

Or, les gens se sentent bel et bien concernés par le bien-être animal. C’est juste que la plupart n’ont pas encore fait le lien et en restent à une attitude un peu superficielle : la volonté est là, et – je pense – sincère, mais la réflexion qui doit aller avec est bloquée par des processus psychologiques, par la culture, par l’habitude et par plein d’autres choses bien décrites en particulier par Melanie Joy.

D’ailleurs, une enquête de l’Union européenne publiée le 15 mars 2016 portant sur le bien-être animal, auprès de 27 762 citoyens européens a conclu que 94 % des répondants considèrent qu’il est important de protéger le bien-être animal, et que 82 % des répondants estiment que le bien-être animal devrait être mieux protégé qu’aujourd’hui. La base est là : les gens sont concernés, maintenant, il faut lutter et faire tomber tous les obstacles à la compréhension plus profonde de chacun. Bientôt, 94% de vegan en Europe. Et alors on se foutra des omnivores parce qu’ils ont des carences en vitamine K.

Oui, je suis un indécrottable optimiste.

Bon, je ne peux pas ici rentrer dans le détail de tout ce qui est abordé dans ce long texte, mais une grande place est donnée à l’amélioration des conditions d’étourdissement ou de mise à mort, à l’abattage rituel, à l’abattage « local », à l’hygiène… C’est frustrant tout ça. Dire que tout cette exploitation n’est absolument pas nécessaire, et que l’on débat sur la meilleure manière de tuer un être sensible, comme s’il y en avait une.

Plus intéressant, le rôle des associations :

Nombreux sont les professionnels de la filière qui ont souligné devant la commission d’enquête la qualité du travail des associations de protection animale et la légitimité de leur action en matière de bien-être animal. En effet, certaines associations de protection animale coopèrent directement et depuis longtemps avec les éleveurs et les exploitants d’abattoirs afin d’améliorer leurs pratiques en matière de bien-être animal. […] Les professionnels du secteur rejettent en revanche les associations de protection animale qui ont un message promouvant l’abolition de la consommation de produits d’origine animale. (p. 223)

LOL ARF MDR PTDR.

Je vous ai pondu une petite saynète pour mettre en exergue le comique de la situation. Les personnages en sont Bob (enquêteur) et LDLV (lobby de la viande) :

SCÈNE 1

BOB : Bonjour, lobby de la viande ! Êtes-vous plutôt pour ou contre que l’on milite contre la viande et que l’on remette ainsi en cause vos intérêts financiers et votre existence même ?
LDLV : …
BOB : Ha oui, elle est con ma question.

FIN

La consommation de viande en tant que telle, et donc l’existence même des abattoirs et du système oppressif qui touche les animaux est en fait complètement écartée du débat. Sans explication, d’ailleurs. On nous dit dans le rapport que cette question est écartée du débat, mais pas pourquoi. Une petite phrase vers la fin nous indique :

Après avoir écarté le débat sur la consommation de viande, la commission s’est concentrée sur sa mission d’analyse de la réglementation et de contrôle de l’action des pouvoirs publics en ce qui concerne le respect du bien-être animal dans les abattoirs d’animaux de boucherie et de volailles[…]. (p. 263)

Pourquoi ? C’est un point évidemment essentiel du débat, et cette commission d’enquête aurait pu être l’occasion de traiter de cette question. La députée Laurence Abeille (19, 7 sur Politique & Animaux, mention très bien avec félicitations du jury) s’en étonne longuement (tiens, ça me fait moins à écrire) et considère que le rapport n’a pas suffisamment pris en compte l’absence de nécessité à consommer de la viande » (sic) :

Lors de son audition, Florence Burgat […] apporte […] des éléments essentiels quant au questionnement sur le bien-fondé de la consommation carnée. Elle relève que la mise à mort des animaux en vue du plaisir pris à la consommation de leur chair ne peut être tenue comme allant de soi. « Les arguments en faveur de la boucherie, dans un contexte où la nécessité ne peut pas être invoquée (…) sont moralement très faibles. La balance entre le plaisir gustatif de l’un, obtenu par la mort de l’autre est grandement déséquilibrée ». Florence Burgat explique « soit on pense le problème à l’intérieur du cadre réglementaire en vigueur et l’on tient, sans examen, pour légitime ce qui est légal, on s’interdit alors de comprendre pourquoi certains remettent en cause la boucherie et l’on cantonne le problème à des dérives ou à des aspects techniques ; soit on s’interroge depuis les fondements sur la légitimité de la boucherie et l’on se demande alors s’il est juste de faire subir aux animaux ce que nous leur faisons subir, c’est-à-dire le pire – de quel droit, en l’absence de nécessité, assimilons-nous les animaux à des ressources transformables ou à des biens dont l’usage implique la destruction ? Ajoutons que jamais nous n’avons fait souffrir et tué autant d’animaux qu’aujourd’hui alors que jamais nous n’avons eu moins besoin des animaux pour notre survie ou pour notre développement. » Florence Burgat poursuit : « C’est sur le caractère à la fois ancien et pérenne de l’interrogation sur la légitimité même de l’abattage des animaux que je voulais appeler votre attention. Non, cette préoccupation n’est pas le fait d’étranges groupuscules qui puisent dans des sources occultes ; il s’agit bien d’une question philosophique et morale que seule l’ignorance de l’histoire des idées peut ranger au magasin des bizarreries. » En ce qui me concerne, l’audition de Florence Burgat a eu le grand mérite de s’interroger sur les fondements de la légitimité à tuer, en l’absence de nécessité pour se nourrir. […] Je souhaite rappeler que la mise à mort d’un animal consiste obligatoirement en une souffrance, ce qui entre en contradiction avec la notion même de respect du bien-être animal. Tel est le sens de ma contribution, souhaiter replacer ce rapport dans un contexte où l’animal tué est un être vivant qui refuse de mourir, et par ailleurs rappeler que nous pouvons nous orienter vers une alimentation de moins en moins carnée, voire nous en passer complètement. (p. 287)

Et toc.

Moralité, je vous encourage à y jeter un œil. tout n’est pas captivant, mais on est en plein dans les problématiques qui nous intéressent et c’est rare que les politiques s’occupent de ça pendant plusieurs mois.

Milan Kundera disait : « moi, les lazzi de la doxa, peu m’en chaut ». Ou pas. À méditer. Ou pas.

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