Lapin de Garenne vs. Predator

Si l’on peut reconnaître l’enfer parce qu’il est pavé de bonnes intentions, le Bien n’est pas, quant à lui, la destination la mieux indiquée sur waze ou google maps.

Certaines décisions morales nous paraissent évidentes, lorsque l’on comprend que les animaux sont des êtres sensibles et qu’on peut très bien vivre sans les manger. On se détourne des rayons charcuterie et fromage de plus en plus facilement, et sans avoir besoin, au fond, de davantage d’arguments. Ceux-ci nous suffisent. Parce qu’ils sont très simples, très logiques, une fois qu’on les a saisis. Et qu’on admet des principes moraux du style « fais pas de mal aux autres » voire « essaye de faire le bien autour de toi ». Don’t be a dick, comme on dit si joliment en anglais.

X est un humain qui a les crocs. Y est une vache qui a envie de vivre. X encourage la mise à mort de Y, alors qu’il pourrait manger Z, un plat de petit pois. C’est pas glop. Et c’est aussi simple que ça. Ça ne fait pas de X un horrible assassin, mais ça fait de la situation une option moins éthique que l’autre branche de l’alternative.

Mais l’animalisme ne se résume pas à ce qu’on met dans son assiette. Ni aux corridas ou aux combats de coq, pratiques abjectes qui ne résistent pas non plus bien longtemps à une analyse éthico-logique qui se fonderait sur les mêmes présupposés. Parce que l’homme a des concurrents sérieux dans la course de qui se comportera le plus comme un salaud avec les autres animaux. Mère Nature par exemple, avec des majuscules qu’elle s’octroie elle-même, comme si elle les méritait, la chafouine. Les autres animaux, aussi. Et entre nous soit dit, je ne pense pas qu’un sanglier soit beaucoup plus heureux de se faire tuer par un feu de forêt dû à la foudre, par un loup ou par un lynx que par un chasseur.

Notre « obligation » négative concernant le sanglier est de ne pas le tuer, de ne pas le faire souffrir, de ne pas l’exploiter. Attention : quand je dis « obligation », je veux simplement dire que, toutes choses égales par ailleurs, il est mieux de ne pas le tuer que de le tuer. Je me refuse à dresser un inventaire de ce qui est « moral ou pas » pour juger de la moralité des personnes : tout n’est pas tout noir ou tout blanc. Et si c’est un sanglier nazi qui attaque un orphelinat, c’est peut-être différent. Enfin vous m’avez compris. Et rigolez pas : tout est possible dans ce monde en perdition.

En tant qu’humains, nous sommes capables de prendre la décision d’agir ou de ne pas agir pour raccourcir la vie de ce sanglier, comme nous sommes capables d’agir ou de ne pas agir pour encourager la demande de viande, et donc la mort d’animaux. C’est un peu notre super-pouvoir à nous : Spiderman lance des fils avec ses mains, Flash va super vite, Wonderwoman a réussi à combattre le patriarcat et à être à peu près la seule femme dans un univers super macho, et vous et moi avons « la morale ». Et cette morale, nous ne la partageons pas avec les rats-taupes nus ou les hiboux, qui font d’autres trucs vachement biens par ailleurs. Eux n’ont pas la capacité de s’imposer cette « obligation » de ne pas faire de mal aux autres animaux. Le rat-taupe nu étant végane (oui j’écris ça à la française maintenant), c’est pas très grave, d’ailleurs. En tout cas, et tous ceux qui ont déjà été confrontés à un « he mec/meuf/personne non binaire, les animaux ils se bouffent bien dans la nature, alors tes histoires de véganisme là, hahahahaha » me comprendront, les humains peuvent prendre ce genre de décisions, pas les autres animaux. C’est donc un argument à la con. Mais je digresse.

À côté de ces « obligations » négatives, il peut aussi exister des « obligations » positives. C’est-à-dire une obligation, un devoir moral d’intervenir pour éviter la souffrance (entre autres) d’êtres sensibles. Et ça, on y réfléchit en général moins. Parce que c’est moins intuitif, plus compliqué. Un peu tabou, parfois. Prenez les exemples suivants :

  1. Vous êtes dans une rue. Vous voyez un loup sur le point de tuer une vieille dame.
  2. Vous êtes dans la forêt. Vous voyez un chasseur s’apprêter à tirer sur un daim.
  3. Vous êtes dans la forêt. Vous voyez un sanglier bloqué sous un arbre en flammes tombé à cause de la foudre.
  4. Vous êtes dans la savane. Vous voyez un lion poursuivre une gazelle.

Je pense que tout le monde sera d’accord pour dire que chaque situation génère(ra) de la souffrance chez la victime. Vous devez décider, pour chacune de ces situations, d’une part s’il y a un problème éthique, d’autre part s’il existe une sorte de devoir moral d’intervenir pour sauver la victime (on dit que vous ne risquez rien à chaque fois).

Pour certains d’entre vous, ce sera évident, pour d’autres non. Certains tiqueront sans doute sur le dernier exemple après avoir été catégoriques quant aux autres. Ils se diront que la situation est différente, et en particulier différente de l’exemple 2 (le 3 ne pose en fait guère de problème pour la plupart des gens je pense). Et je peux comprendre. J’ai longtemps raisonné comme ça : le chasseur, lui, a la possibilité de faire autrement, le lion non. Il faut empêcher le chasseur de tirer. Pour le lion… C’est moins clair. Et en même temps, on va sans doute sauver la vieille dame, non ? Quelle différence ? Au fond, et comme je le disais plus haut, du point de vue de la victime, vieille dame ou gazelle, la situation est similaire : elle n’a pas envie de se faire manger. Pour moi en tout cas, pas de doute : oui, la souffrance des animaux sauvages est un problème éthique, fût-elle le fait de prédation. Ça répond à la première question.

Alors, doit-on intervenir ? Comme dit David Olivier, « on veut que l’homme cesse d’être un loup pour l’homme, alors pourquoi ne pas vouloir que le loup cesse d’être un loup pour le lapin ? ». Enfin je crois que c’est lui qui a dit ça. Je retrouve pas la citation. De toute façon, ce qui est bien, avec David Olivier, c’est que tout ce qu’il dit est pertinent. #fanboy #jassume.

Je pense d’une part que la souffrance reste de la souffrance, peu importe son origine. Je pense d’autre part qu’il est « mieux » d’intervenir pour empêcher ou réduire cette souffrance lorsqu’il est possible de le faire. Alors, oui, dans la théorie, je suis interventionniste : je considère qu’il n’y a probablement pas de raison valable de laisser souffrir un animal dans la nature et que si on peut le faire, il vaut mieux le faire.

La question de la prédation fait selon moi partie des problèmes les plus importants de l’animalisme, lorsqu’on s’intéresse au nombre de victimes (incommensurable) et à la façon dont ces victimes trépassent (PEGI 18). Et c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup moins évident pour un grand nombre de gens, moi y compris, que nos obligations négatives vis-à-vis des animaux.

« L’ordre naturel des choses » ne rentre pour moi pas en compte : la « nature » (quoi que cela veuille dire) n’a pas de valeur en soi, elle n’a de valeur que par les êtres sensibles qui la peuplent. Si l’on protège la nature, c’est pour protéger les humains et les animaux, pas une entité floue avec une barbe verte et des cornes de satyre (la créature mythologique, pas le gros oncle dégueulasse qui fait des réflexions graveleuses à la cousine Mireille au repas de Noël).

Mais il y a un certain penchant « naturaliste » dans le milieu de la protection animale et dans les milieux écolo (et pas seulement), qui ne me semble pas toujours tout à fait justifié. On a tendance à faire l’éloge de la nature, à la fantasmer. On pense aussi beaucoup aux espèces, et pas assez aux individus. Comme dit Nick Bostrom (cité en français par David Olivier dans cette conférence, 12:05) :

« Beaucoup d’humains voient la nature d’un œil d’esthète et y réfléchissent en termes de biodiversité et de santé des écosystèmes, tout en oubliant que les animaux qui habitent ces écosystèmes sont des individus avec leurs propres besoins. La maladie, la faim, la prédation, l’ostracisme et la frustration sexuelle sont endémiques au sein des écosystèmes dits en bonne santé. Le grand tabou dans le mouvement pour les droits des animaux est que la plus grande part de la souffrance est due à des causes naturelles. ».

Notez que Nick Bostrom est par ailleurs un philosophe intéressant, qui réfléchit aussi à d’autres choses très… intuitivement dérangeantes. Mais je digresse encore.

Ce n’est bien sûr pas un problème nouveau, on se le pose depuis longtemps (et la plupart des théoriciens ne sont semble-t-il pas interventionnistes), mais disons que dans le milieu de la protection animale, on a souvent un avis tranché sur des choses comme la corrida ou la viande, et que beaucoup ne se posent pas la question de la prédation. Ce qui n’est pas une honte, hein, entendons-nous bien. Comme je ne jette pas la pierre aux non véganes, je ne jette pas la pierre aux véganes qui ne s’intéressent pas à ça. Je suis contre la lapidation idéologique. Je pense simplement qu’il est important que cette question se popularise, parce que Mère Nature est VRAIMENT pas sympa et que des milliards d’animaux souffrent de ce que l’on peut trop vite voir comme étant « l’ordre naturel des choses ».

« Le montant total de souffrance par an dans le monde naturel dépasse l’entendement. Au cours de la minute qu’il me faut pour composer cette phrase, des milliers d’animaux sont mangés vivants, d’autres courent pour leur vie la peur au ventre, d’autres sont lentement dévorés de l’intérieur par des parasites ; des milliers meurent de faim, soif et de maladies. […] Dans un univers où règnent les forces aveugles de la physique et de l’évolution, certaines personnes vont se blesser, d’autres vont avoir de la chance, et vous ne trouverez aucune raison, aucune justice à cela. L’univers que nous observons possède précisément les propriétés que nous devrions en attendre s’il n’y a au fond aucun dessein ou modèle, aucun but, aucun mal ni aucun bien, rien si ce n’est qu’une indifférence aveugle et impitoyable. » (Richard Dawkins, toujours cité par David Olivier au même endroit).

Alors, que faire ? J’espère que vous ne vous attendez pas à trouver la solution ici. En revanche, comme souvent, je vais poser plein de questions, dont certaines qui fâchent. Je n’ai pas les réponses. Et je pense que c’est encore un débat en discussion, de toute façon.

Cette question est très bien résumée par Estiva Reus dans son commentaire de Zoopolis (p. 45):
« Le malheur inhérent aux processus naturels est sans doute le défi le plus formidable auquel est confrontée l’éthique animale. À l’intérieur des sociétés humaines, on se pose rarement la question de savoir s’il faudrait laisser faire la nature quand la non-intervention impliquerait de subir de plein fouet des fléaux ruinant nos vies. On s’active au contraire du mieux qu’on peut pour s’en défendre. De ce fait, les cas d’humains victimes de la prédation d’autres animaux sont devenus anecdotiques ; les moyens mis en œuvre pour rendre plus sûr l’approvisionnement en eau et nourriture, lutter contre la maladie, disposer de logements qui protègent des intempéries, etc. ont permis une augmentation spectaculaire de l’espérance de vie. Il est en outre admis que c’est un bien d’aider les ressortissants d’autres sociétés humaines que la nôtre à se défendre contre la pénurie, la maladie, ou les catastrophes naturelles. Sur la question de savoir s’il est envisageable et souhaitable d’apporter une assistance du même type aux ressortissants non humains d’autres sociétés que la nôtre (les animaux sauvages), on trouve des avis partagés dans la littérature sur l’éthique animale. Une majorité d’auteurs estiment qu’on ne doit pas le faire, certains parce qu’ils limitent les devoirs de justice envers les animaux à la réparation des dommages causés par les humains, d’autres parce qu’ils ont à l’esprit la complexité des interdépendances dans les écosystèmes, et qu’ils jugent dangereux d’encourager des interventions qui risquent de faire plus de mal que de bien. Sans compter qu’on se trouve fort démuni face à la prédation : structurellement, la vie des uns repose sur la mise à mort des autres. ».

Les questions, donc. La disparition d’une espèce de prédateur est-elle vraiment une si mauvaise chose ? Au-delà de la biodiversité, de la perturbation de l’équilibre naturel (réel ou fantasmé), et bien sûr, de la souffrance des individus membres de cette espèce (parce que pour que celle-ci disparaisse, ils ont dû disparaître eux-mêmes) ? Cela peut-il permettre aux anciennes proies de vivre longtemps et prospérer ? Réintroduire une espèce est-elle vraiment une bonne idée ? Qui profiterait de cette réintroduction ?

Non, je n’ai pas dit « Tuons les loups ! ». On se calme.

La prédation est-elle une fatalité ? Peut-on nourrir les prédateurs différemment ? Peut-on imaginer une stérilisation à très très très grande échelle pour que les espèces de prédateurs s’éteignent d’elles-mêmes ?

À vos copies. Vous avez dix ans.

Pour se familiariser avec cette question de la prédation (et trouver des éléments de réponse), je pense qu’il peut être formateur de :

  • Regarder cette conférence de David Olivier (je gagne des royalties à chaque fois que j’écris son nom) sur la souffrances des animaux sauvages, il en parle.
  • Regarder cette conférence de Thomas Lepeltier, « Faut-il sauver la gazelle du lion ? ».
  • Lire ce qu’en disent les auteurs de Zoopolis (qui ne sont pas interventionnistes, eux), par exemple en lisant l’introduction commentée par Estiva Reus.
  • Lires les articles idoines des Cahiers antispécistes : , , , , et . Jolie chanson.
  • Apprendre l’anglais le cas échéant.
  • Aller lire cet article de Tobias Leenaert grâce à votre anglais potentiellement nouvellement acquis. Ou la version traduite sur The Plea Bargain !
  • Aller lire ce texte de Vincent Berraud ou la version française, réalisée par Brocoli concentré, encore un blog francophone mieux que le mien. *sigh*
  • Aller consulter les nombreux articles en anglais de Brian Tomasik du Foundational Research Institute sur le sujet, comme celui-ci.
  • Aller écouter le dernier épisode du podcast Les carencés (#12), en l’occurrence vers 1:33:00, pour entendre la chanson d’Oum le dauphin, et un barbu parler de caca et de réseaux trophiques.  Ça vent du rêve, je sais.
  • Frimer dans les dîners de gala avec tout ce que vous avez appris, et regarder les gens partir un par un parce qu’ils sont convaincus que vous voulez aller vendre des bouquins de cuisine végane aux aigles et aux crocodiles.

Edit : mea culpa, je pense ne pas avoir été tout à fait clair, même si je pensais l’avoir dit suffisamment de fois. Je suis conscient des problèmes qui pourraient surgir si l’on supprimait la prédation, comme ça, du jour au lendemain. Et je sais qu’avant d’agir, il faut réfléchir aux problèmes potentiels, notamment environnementaux. La fin de mon article laisse, me semble-t-il, entendre tout ça : je n’ai pas de réponse sur les modalités de cet interventionnisme. Je pensais avoir pris toutes les précautions nécessaires pour le faire comprendre, mais vu que plusieurs personnes ne m’ont pas compris, je pense que le problème vient de moi ; d’où cette addition.

J’ai deux buts avec cet article :

1) je voudrais qu’on parle davantage de cela (bon, on a déjà du pain sur la planche avec l’élevage, notamment, je sais bien), parce que c’est un peu un sujet tabou alors que la souffrance dans la nature est énormissimantesque. C’est un mot que l’on utilise seulement pour ça, c’est vous dire.

2) Je voudrais que l’on ne condamne pas la posture interventionnisme par principe, mais que l’on se dise qu’il peut être justifié d’intervenir, si et seulement si cela revient à ne pas « empirer les choses », pour aller vite, mais à les améliorer. Si l’on peut réduire la souffrance dans la nature, même si cette souffrance n’est pas d’origine humaine, et que cela fait plus de bien que de mal (et oui, il faut calculer ça), alors pourquoi ne pas le faire ?

44 réflexions sur “Lapin de Garenne vs. Predator”

  1. D’un point de vue matérialiste, imaginer des solutions pour stopper la prédation en ce monde est aussi raisonnable que de vouloir compter les grains de sable sur toutes les plages dudit monde.

    D’un point de vue spirituel, la question se pose en d’autres termes. Spirituellement, la compassion n’est pas une vertu, que les gentils cultiveraient et que les méchants mépriseraient.

    La compassion est le fruit de l’Unité de toutes choses, donc de l’Amour.

    De nombreux saints ou sages, d’époques et de religions différentes, sont en osmose avec tous les êtres, quels qu’ils soient, car ils vivent dans l’Unité. Leur compassion traduit leur foi totale en Dieu et/ou leur Éveil.

    Dès lors, plutôt que de courir après des trilliards de trilliards de grains de sable, pourquoi ne pas se demander : Qui suis-je ? Qui voit ce monde ?

    Merci pour ce nouveau post.

    1. Merci à toi !

      Je ne pense pas qu’il soit vain d’imaginer des solutions pour réduire la prédation. De fait, on le fait déjà, en n’introduisant pas de prédateurs, en stérilisant, etc. Bien sûr, stopper totalement, c’est une autre histoire, mais rien ne nous empêche de faire ce qu’il est possible de faire sans que cela soit la solution parfaite 😉

  2. Excellent article, très documenté. De mon côté je pense qu’il faudrait plutôt « réguler » la prédation, en permettant à tous les animaux non-humains de vivre conformément à leurs instincts (notamment en terme de territoires et de populations.)
    Après, pour moi, le choix se pose ainsi: un animal non-humain tente de tuer un animal non-humain et non-domestiqué; je laisse faire. Si il tente de tuer la brebis qui fait vivre le berger, ça me gêne, si il tente de tuer mon chien ou ma grand-mère, j’interviens.

  3. L’anti-interventionnisme catégorique (presque dogmatique) me parait bien plus irrationnel que les questionnements sur les possibilités d’interventionnisme (avec tous les principes de précautions nécessaires) ; notre capacité et le résultat positif de l’interventionnisme étant les conditions sine qua non de telles possibilités. L’interventionnisme, conceptuellement et philosophiquement, est moralement nécessaire, ou du moins souhaitable : si l’on peut réduire la somme globale des souffrances (en réduisant au maximum le préjudice aux individus qui perdraient légèrement en bonheur au passage), alors il faut le faire. Néanmoins, ce débat, probablement le débat ultime chez les antispécistes, est si complexe sur le plan pratique ; philosophiquement, encore une fois, du moins, est-ce mon avis, c’est plié.

    Merci pour la publication !

    1. Je crois être totalement d’accord avec toi, et je pense que je n’ai pas été assez clair sur ce point dans mon article : les problèmes ne se posent pas au stade de la théorie philosophique, parce que c’est selon moi plié, comme tu dis. Quand je dis être interventionniste, c’est justement sur ce plan. Sur le plan pratique… Je sèche un peu. Notamment parce que je ne suis pas assez calé au niveau écologique par exemple. D’où les questions à la fin 😉

  4. Une précision : les auteur.e.s de Zoopolis ne sont pas interventionnistes au niveau global, mais ne sont pas contre un interventionnisme modéré et ponctuel non plus si mes souvenirs sont bons (par exemple pour sauver une population d’une maladie) ; toujours si mes souvenirs sont bons, leurs arguments contre l’interventionnisme global étaient philosophiquement intéressants (notamment si cela nécessite de rendre de nombreux individus dépendants des animaux humains, ce qui peut être considéré comme une forme de préjudice moral, comme peut l’être le processus initial de domestication de certains animaux non humains par exemple), même si elle et il faisaient un peu l’impasse sur l’étendue inimaginable des souffrances dans le monde sauvage – un point auquel je n’avais pas pensé en lisant leur essai… Il serait intéressant d’avoir un débat public à ce sujet, probablement le plus clivant chez les antispécistes. Mais bon, sur le plan pratique, il est vrai que si déjà on arrivait à convaincre les gens de cesser les souffrances volontaires et souvent inutiles (dans tous les cas moralement inacceptables) liées à l’exploitation volontaire et souvent inutile (dans tous les cas moralement inacceptable également) des animaux non humains, ça serait déjà énorme ; tout en réfléchissant dans le même temps à des solutions interventionnistes solides (balance bénéfices – risques (très) positive), avec éventuellement des programmes locaux. Bon, après, pour évaluer l’évolution de la somme des souffrances globales, même dans un écosystème peu étendu, bon courage ! ^^’

  5. Super article qui résume toute ma pensée sur le sujet.
    L’interventionnisme correspond à une véritable « claque philosophique » que l’on se prend dès lors qu’on a compris que la morale n’était pas qu’une affaire d’humains. Il y a certes une ambiguïté qui peut rendre difficile ce constat chez certains : l’immoralité est partout, mais il faut les yeux d’un observateur (agent moral), humain en l’occurrence, pour mettre en lumière son existence.

    Concernant l’interventionnisme en pratique, personnellement je pense que c’est affaire de budget. Face au découragement « d’emblée » de certains, imaginons qu’on y mette vraiment les moyens : humains (des experts des milieux naturels, du personnel formé sur le terrain), technologique (drones, caméras thermiques, détecteurs…), et financiers bien entendu. On pourrait anticiper déjà les situations qui font souffrir « tout le monde » : pénurie alimentaire qui touche les herbivores et leurs prédateurs par ricochet. Avoir un corps de « garde-chasses » (si on me pardonne le terme) qui pourraient abattre, avec le plus de discrétion possible, les animaux agonisants. Mener une campagne de stérilisation en ayant étudié les conséquences. Ce qui nous bloque le plus pour intervenir, c’est le risque de faire plus de mal que de bien, mais on peut sans doute résoudre ce dilemme avec des tonnes d’études… encore une fois c’est une question de moyens !

    Une autre question que cela pose en revanche, c’est jusqu’où nous allons pouvoir nous affirmer dans notre antispécisme. Lorsqu’on en sera à devoir choisir entre allouer telle somme pour sauver des humains, ou telle somme pour sauver des animaux, comment déciderons-nous ? Ou même, sans parler d’argent qui ne sert qu’à représenter la valeur d’une action, comment agira l’humanité lorsqu’elle arrivera au bout de ses « capacités d’action » et devra faire des choix entre qui vit et qui meurt ? Sans doute que le problème ne se posera jamais, l’humanité risquant de s’éteindre avant qu’on soit parvenu à une société à même de se poser ces questions là.

    1. Intéressant ! Je pense aussi que les réponses sont trouvables, en réalité. Des éléments de réponse sont apportés ici et là, et j’aime bien ce que tu évoques, les moyens. J’imagine que des études scientifiques peuvent être réalisées si on veut bien le faire pour évaluer les risques et les bénéfices. Je pense que cette question de régler la prédation semble tellement farfelue dans certains milieux (à peu près partout sauf la PA en fait 😉 ) que ça, ça nous bloque aussi. C’est dommage.

      Sur ton troisième paragraphe : connais-tu l’altruisme efficace ? Ça peut nous aider à réfléchir à la question. Je pense que, schématiquement, et à titre personnel, je n’aurais pas de problème à allouer une somme pour sauver des animaux plutôt que des humains si c’est la branche de l’alternative qui permet le plus de maximiser le bonheur du plus grand nombre. C’est évidemment très compliqué à « calculer », parce que ce n’est pas qu’une histoire de nombre (200 humains ≠ 200 mésanges), ça doit prendre en compte le contexte, les niveaux de sentience, etc. D’un point de vue plus large que ma petite personne : oui, nous sommes encore dans une société spéciste et la plupart des gens sacrifieraient sans doute 5 millions de vaches pour sauver un humain sans prendre la peine de « calculer » (oui, le terme est obscène sans doute). Je suis assez optimiste (sans raison scientifique, hein) et je pense que les choses change(ro)nt 😉

      1. Une étude de 2006 que j’ai la flemme de sourcer indique qu’en moyenne, les gens sacrifieraient 10 000 animaux non humains pour sauver un seul être humain… 5 millions est un peu trop pessimiste donc ^^ – 10 000 c’est déjà pas mal niveau spécisme décontracté.

        1. J’avais lu un truc comme ça, mais où… Tobias Leenaert ? Nick Cooney ? Je sais plus. J’avais complètement oublié le nombre en tout cas.

          Du coup… On va dire que c’est une bonne nouvelle pour moi 😉

        2. Cette étude américaine de 2007 laisse supposer que les personnes sondées accordent une valeur plus de 10 000 fois plus grande à la souffrance d’un humain que d’un animal : elles sont prêtes en moyenne à faire souffrir jusqu’à 11 500 animaux de ferme si cela peut éliminer la souffrance d’un seul humain : Jayson L. Lusk, F. Bailey Norwood et Robert W. Prickett, Consumer Preferences for Farm Animal Welfare: Results of a Nationwide Telephone Survey, Oklahoma State University, Department of Agricultural Economics, 2007.

  6. Un article intéressant, c’est certain. Je n’y avais jamais réfléchi et il est 2h du matin donc mon commentaire risque de faire brut de décoffrage, et probablement décousu, mais bon :
    Ce qui me pose problème avec l’idée d’arrêter la prédation, c’est comment régule-t-on les espèces herbivores ? Souvent les non-vegans me disent que si on arrête totalement la chasse, les herbivores vont être en surpopulation et venir manger nos cultures (certains ont même fait des recherches et me donnent des exemples historiques) ; ce à quoi je réponds qu’il suffit de réintroduire quelques prédateurs pour rééquilibrer l’éco-système, en citant comme exemple la vidéo sur la meute de loups du Yellowstone qui circule depuis quelques mois, et que vous avez certainement déjà vue (premier commentaire que je laisse sur ce blog, donc j’emploie le vouvoiement puisque je ne connais pas encore le.a maître.sse des lieux)
    Mais si je commence à leur dire que je veux intervenir sur la prédation en plus du reste, je vais être considérée comme une cinglée par tout le monde.
    Un autre problème qui m’interpelle, c’est l’intervention humaine en elle-même. Je trouve extrêmement prétentieux de la part de l’espèce humaine de vouloir à tout prix intervenir dans l’organisation de la nature (j’entends par là « le monde sauvage », pas « ce qui doit absolument arriver »). De mon point de vue de béotienne, plus nous, les animaux humains, essayons de contrôler la nature, plus nous faisons de dégâts. J’ai beau y réfléchir, je ne vois pas d’occasion où une intervention humaine sur l’organisation naturelle a été bénéfique (en tout cas bénéfique pour une autre espèce que la nôtre) mais encore une fois, je suis une béotienne et je ne demande qu’à me voir prouver le contraire. Du coup, est-ce vraiment une bonne idée de vouloir intervenir encore sur ce qui se passe dans la nature ? D’un côté, je me dis que nous sommes la seule espèce à nous poser la question ; je ne crois pas avoir déjà vu (je vais citer des espèces au hasard) une girafe intervenir pour empêcher une lionne de tuer une gazelle. Mais d’un autre côté, je me dis que nous sommes la seule espèce en mesure de nous poser la question, et que par conséquent ça ne prouve rien.
    En résumé, ma réflexion serait à peu près « Qui sommes-nous pour décider que l’organisation de la nature doit être changée, et quel droit avons-nous d’y apposer notre morale ? ». Couplée à la question « Où s’arrêterait l’interventionnisme ? » S’arrêterait-on à la prédation ? Les dauphins et canards pratiquent le viol (et ne sont probablement pas les seuls), les lions pratiquent l’infanticide, il y a même certaines espèces de fourmis qui exploitent des pucerons. Doit-on intervenir là-dessus aussi, parce que notre morale nous dit que le viol et l’infanticide c’est mal ?
    Sans compter que notre vision de la morale est fluctuante. A une époque, il n’était pas considéré comme immoral de battre sa femme ou ses enfants. A une époque, il n’était pas considéré comme moral d’être homosexuel, ou de pratiquer le sexe en-dehors du mariage. Est-ce que ce n’est pas une forme de spécisme de vouloir imposer notre morale aux animaux non-humains, en sachant que cette morale aura peut-être changé dans cinquante ou cent ans (si notre espèce survit si longtemps) ?
    Je n’ai pas la réponse à mes propres questions, mais elles ont été soulevées en moi par la lecture de cet article. je ne rechigne pas à en débattre si le coeur vous en dit, et si vous pensez pouvoir y répondre !

    1. Beaucoup d’éléments passionnants dans ce commentaire, surtout pour un commentaire nocturne censé être décousu 😉

      1) On peut se tutoyer si cela te va. Je suis plus à l’aise avec ça. Si ça te pose un problème, je reviens au vouvoiement illico.
      2) Sur les modalités d’une intervention, je vais reprendre une réponse que j’ai donnée sur ma page facebook : « Haha, tu remarqueras que je reste très réservé sur le « comment » de toute façon. Parce que je suis bien incapable, avec mes maigres connaissances, de savoir ce qu’il faudrait faire. Je voulais surtout souligner deux choses : a) le fait qu’il est important qu’on réfléchisse à la question dans la PA à mon avis, parce que c’est un peu « tabou » ou qu’on peut l’évincer tout de suite par simple « principe » (c’est « la nature », ça ne nous regarde pas, etc.) b) et le fait que, en théorie, philosophiquement, il me paraît justifié d’intervenir aussi pour aider les animaux sauvages, y compris dans ce contexte de la prédation. Disons que je ne vois pas d’objection « de principe » à intervenir, mais que les modalités d’intervention (comme tout) doivent être réfléchies, bien sûr. Comme je l’ai dit dans l’article, je n’ai donc pas de vraie réponse sur la pratique, sur ces modalités, mais surtout des questions, qui, pour ma part, m’intéressent, et auxquelles j’aimerais bien trouver une réponse pertinente un jour. Et merci pour le coup d’apporter ta pierre à l’édifice avec ton commentaire. »

      3) Sur l’intervention humaine en tant que telle, ou plus exactement le principe même de cette intervention, je ne vois pas pourquoi toute intervention serait nécessairement néfaste. Quand bien même on n’aurait pas d’exemple (et comme ça, à brûle-pourpoint, me viennent par exemple le traitement des épizooties, les dispositions prises pour prévenir les feux de forêt ou autres dégâts « naturels », la reforestation, les réserves naturelles, etc.), l’homme fait partie de la nature et il peut faire le bien comme faire le mal. En fait, le simple fait de soigner un animal blessé, par exemple, rentre dans ce cadre aussi. Empiriquement, je pense qu’on peut dire qu’il a quand même fait beaucoup de mal, mais il est capable de faire le bien aussi. Même si ça revient parfois à corriger le mal qu’il a fait ;-).

      4) De manière plus générale, comme je l’ai dit, l’humain fait partie de la nature. « La nature », c’est une notion très vague. Pourquoi veut-on systématiquement considérer que nous sommes en dehors de ça, que nous sommes si différents qu’il y a une frontière impénétrable entre ce qui serait « naturel » et ce qui est fait par l’homme ? C’est un peu une vision anthropocentrée du monde, au fond : il y aurait nous d’un côté, et tout le reste de l’autre.

      5) Sur le côté social : je ne pense pas qu’il faille forcément parler de ça « à l’extérieur » de la PA, ou en tout cas mettre l’accent là-dessus. D’une part, je ne pense pas que les gens seront super réceptifs à ça. D’autre part, on a déjà du pain sur la planche à essayer de convaincre les gens de manger moins (et plus du tout) de viande/lait/etc., et ça viendra à mon avis avant. Et même ça, ce sera pas tout de suite. Donc je suis d’accord avec toi, on risque un peu de passer pour des cinglés. C’était un peu le sens de ma blague sur les dîners de gala 😉

      6) Sur le « qui sommes-nous ? » : nous sommes la seule espèce capable de jugement moral et la seule capable de faire quelque chose pour aider les animaux qui souffrent dans la vie sauvage. Encore une fois, je ne le répèterai jamais assez, ça dépend des modalités (et je sèche là-dessus), mais sur le principe… Ça ne me semble pas fou de ce dire qu’on peut avoir un certain « devoir moral ».

      7) Sur le « où s’arrêterait l’interventionnisme ? » : à ce qui maximise le bonheur du plus grand nombre d’êtres sensibles, je pense. Et cela suppose effectivement de juger en fonction de notre morale, mais aussi de critères objectifs, factuels, scientifiques. Que ce soit du spécisme ou pas (mais je ne pense pas que cela en soi, parce que ce n’est pas une discrimination non justifiée faite sur la seule base de l’espèce), cela m’importe peu : ce qui m’importe c’est que les animaux soient plus heureux avec notre intervention potentielle que sans. Je suis d’accord avec toi, notre vision de la morale est fluctuante. C’est indiscutable. Mais je pense que la morale en tant que telle, elle, ne l’est pas. Pour aller vite, disons que même à l’époque où on condamnait pénalement l’homosexualité (il y a encore des pays qui le font d’ailleurs), parce que notre vision de la morale nous le dictait, et bien c’était déjà moralement mal. C’est en tout cas ce que je crois. Et il y a des choses qui sont je pense, sinon indiscutables, en tout cas très peu discutables, ne serait-ce que parce que la science est capable de nous indiquer quand les animaux ressentent du bien-être ou du mal-être. Ces indices peuvent nous aider à savoir où et comment intervenir, au moins si on prend comme présupposé (et ça peut se discuter) que les êtres sensibles ont davantage envie d’aller bien plutôt que pas bien. Et heu.. J’ai dit que je n’avais pas de réponse intelligente sur les modalités déjà ? 😉

      En tout cas, merci de ton commentaire, super riche et véritablement passionnant. Si ce n’est pas déjà fait, je t’encourage à aller lire/voir les sources que j’ai mises. Je pense que j’en rajouterai au gré de mes lectures !

      J’espère que ma réponse ne sera pas trop décousue pour le coup : il est 3H30 du mat’ (j’ai gagné !).

      1. Louve des steppes

        Bonsoir! Un petit commentaire moins long et moins nocturne (il n’est que minuit 20 :)).
        Concernant la morale, il me semble avoir lu un chapitre intéressant dans un bouquin de Marc Bekoff, qui « démontrait » pour autant qu’on puisse le faire, que les animaux avaient des actes qu’on pouvait rapprocher à de la morale.
        D’autre part comment pouvons nous intervenir quand il existe presqu’ autant d’actes de prédation que d’etres vivants? Est ce que le loup en tuant la biche ne sauve pas indirectement les milliers d’insectes et les dizaines d’oiseaux vivant dans les arbres et les buissons dévorés par cette jolie biche (cf pour reprendre le thème de la vidéo Yellowstone citée dans un autre commentaire mais on pourrait trouver bien d’autres exemples).
        Je suis profondément intéressée par le sujet de l’interventionnisme car il pose des questions plutôt ébouriffantes. (J’y pensais justement sur mon vélo le jour ou tu as publié cet article!)
        J’ai quand même la sensation qu’on se mêle de quelque chose qui nous dépasse.
        Je serai interventionniste si le
        loup créait une ferme des mille biches. Je serai interventionniste quand on trouvera des preuves de tortures et de massacre à grande échelle d’un animal sur ses frères et sœurs de la même espèce. En bref je comprends l’interventionnisme sur des actes comparables aux nôtres. Mais malgré le fait que je sois désespérément optimiste et que j’essaie de garder bienveillance et compassion envers mes sœurs et frères humains, il me semble bien que le propre de l’homme est sa capacité à torturer, violenter, réduire en esclavage, à tuer par milliers les membres de son espèce. Je suis certaine que ni toi ni moi ne faisons partie de la bande de psychopathes qui envoie au massacre leurs semblables, mais je ne vois pas comment l’animal humain pourrait intervenir pour contrer une prédation de survie quand il est lui même capable d’engendrer tant de souffrances.
        Mais ma pensée est sans doute simpliste, je vais lire les sources que tu nous conseilles et continuer à réfléchir en pédalant sur mon joli vélo :))
        Et surtout un immense merci pour tes splendides articles qui nous force à réfléchir…

        1. Salut 😉

          Concernant la morale, je reconnais que ça se discute. Je vais un peu vite en besogne quand je dis que seuls les humains « ont la morale », et cela mériterait plus de précision. Je parle davantage des conséquences bonnes ou mauvaises de notre libre-arbitre, en fait, et même là, ça peut se discuter (déterminisme, etc.). Je vais regarder ta référence (si tu as plus précis, je suis preneur !).

          Je pense qu’on est d’accord sur le principe en fait : l’interventionniste peut se justifier, mais ça dépend des modalités. Ou me trompé-je ?

          Et comme je le dis… Les modalités me dépassent. Je voulais surtout attirer l’attention sur ce problème important et, disons « condamner » (c’est un bien grand mot) l’anti-interventionnisme absolu comme on peut le voir parfois.

          Et je t’en prie, c’est avec plaisir ! Merci à toi et aux autres commentateurs, qui apportent de l’eau au moulin de ma réflexion et de notre réflexion collective ! J’ai en plus la chance d’avoir des lecteur non-trolls, et la grande majorité des commentaires a toujours été constructive 🙂

    2. Je me permets de répondre à la question de la morale.

      Certes, la morale est le propre de l’humain. Mais si « pour nous », philosophiquement, le fait qu’un individu souffre est mauvais en soi (quelle que soit son espèce) alors la question de « l’imposer » est désuète. Prenons un autre mot que la morale qui est un peu compliqué, parlons simplement de valeurs. Chacun, quelles que soient ses valeurs, va les considérer comme devant être la norme et les « imposer » (c’est à dire les présenter comme fondées, rationnelles, devant être appliquées partout…) à ses enfants, à son entourage.

      Pour moi il n’y a donc pas « à faire ou ne pas faire »… c’est juste ainsi ! Si pour moi la souffrance est mauvaise, je peux regarder dans quels domaines on peut la réduire : par exemple, le milieu sauvage. Je n’ai pas besoin du « consentement » ni de mes pairs, ni des animaux eux-mêmes….

      La morale est une affaire personnelle, mais qui a une portée universelle puisqu’elle concerne un individu et la vision du monde entier dans lequel il vit. Un exemple que j’espère pas trop foireux : les gens qui ont manifesté contre le mariage pour tous. Si je dois critiquer cette manifestation : je le ferai en disant que l’homosexualité n’est pas quelque chose de condamnable, sur aucun plan, et que les homosexuels ont les mêmes droits que les hétéros. Mais jamais je ne m’opposerai à ces gens en disant : votre condamnation de l’homosexualité c’est votre morale, vos valeurs, vous n’avez pas à chercher à l’imposer à la société et aux homosexuels.

      On est tous légitimes à défendre une action qu’on juge morale. Ce qui n’empêche pas de débattre du bien fondé à agir ou non. Ainsi pour l’interventionnisme, je peux entendre tous les arguments me disant qu’on risque de faire plus de mal que de bien ; mais pas ceux me disant que cette affaire de morale ne concerne que les humains.

    3. Aucun rapport, mais je rajoute que je viens de lire quelques-uns de tes textes (heureux de voir une autre amatrice d’écriture) et je trouve que tu as beaucoup de talent, si je puis me permettre 😉

  7. Ce qui est dit sur la « morale », censée être le propre de l’homme, sur l’interventionnisme bénéfique pour animaux, etc., évoque l’idéologie colonialiste, qui prônait l’invasion et l’exploitation de populations entières au nom du devoir d’éduquer ces « sauvages » et de leur apporter le bien-être et les lumières de la « civilisation ».
    Bien sûr, au centre, il y avait l’homme blanc, détenteur de tous les droits et de tous les devoirs… exactement comme trône aujourd’hui l’humain au centre de la biosphère.
    1° Non, la « morale » n’est pas propre à l’humain. Je vous invite à regarder toutes ces vidéos d’animaux en secourant d’autres qui sont d’espèces différentes contre des prédateurs, ou encore ces adoptions inter-espèces de petits orphelins par des adultes. D’ailleurs, beaucoup de gens ayant un animal de compagnie pourront témoigner du fait que celui-ci a un sens certain de la « morale », même si ce n’est pas verbalisé.
    2° Par ailleurs, le terme « morale », selon moi, est impropre. En effet, comme l’a très bien souligné lesnouvellesdedaenerys, la morale est fluctuante selon les époques, les sociétés, les milieux, et même selon les individus. En revanche, les comportements solidaires, bienveillants, voire compatissants sont universels. La nature n’est pas « que » la jungle. Et dans ce contexte, l’humain ne fait qu’agir en conformité avec sa condition d’être sensible, mais avec les moyens qui sont les siens.
    Les jaïns, en Inde, soignent les animaux malades ou blessés dans des hôpitaux spécialisés. Ils essaient aussi de ne nuire aux animaux dans aucun des actes de leur vie.
    Les Bishnoïs, peuple du Rajasthan, vivent en harmonie avec les autres espèces, protégeant même les arbres ! Une femme peut, par exemple, allaiter un bébé gazelle orphelin…
    Un grand sage comme Ramana Maharshi ou un grand saint comme François d’Assise avaient un rapport privilégié avec les animaux parce qu’ils étaient en totale harmonie avec eux, et les animaux le sentaient.
    Tant que prévaudra la vision matérialiste, utilitariste du rapport à autrui (aux autres espèces animales ou végétales, mais aussi aux autres individus de notre espèce), l’essentiel sera perdu de vue.
    Notre existence, notre conscience d’être, n’est justifiée que si elle tend vers l’Unité. Sinon, à quoi bon ?

    1. Le fait de rapprocher du colonialisme ne donne pas d’indicateur sur le côté bénéfique ou pas de quelque chose. Comparaison n’est pas raison. Je pense, par exemple, qu’entre autres, les progrès de la médecine sont une bonne chose à promouvoir auprès des « populations » qui n’ont pas ces progrès. Le fait que ce soient des colons, des associations caritatives, Hitler, Gandhi, Pierre, Paul, ou Jacques qui effectuent une action n’a pas d’impact sur le côté bénéfique ou non de l’action. Sauver des vies dans un autre pays, ça peut être vu comme du colonialisme, mais c’est pour moi une bonne chose, par exemple. Exploiter des populations dans un autre pays pour faire de l’argent, par contre, c’est pour moi une mauvaise chose. Mais c’est pareil qu’on soit dans un autre pays ou « chez soi ». Les frontières sont arbitraires, artificielles.

      Les exemples que tu donnes, des Jaïns, des Bishnoïs (mais on pourrait en donner des centaines), relèvent de cet « interventionnisme bénéfique pour animaux ». Du coup, c’est du colonialisme ? Et c’est condamnable ?

      Sur le 1) : je crois vraiment que la morale est propre à l’humain. Ces comportements au sein des autres espèces relèvent pour moi d’autre chose. Mais on ne le saura sans doute jamais.

      Sur le 2) : oui, on peut changer de mot. J’aime bien éthique, mais on peut aussi utiliser autre chose 😉

      Je ne comprends pas la fin, sur l’Unité (et je ne comprends pas le terme). Mais je veux bien que tu m’expliques ! Mon humble avis sur la question : notre existence… est. A nous de l’utiliser pour faire le bien autant que possible, mais je ne cherche pas de « justification » téléologique à l’existence. On existe parce qu’on existe, pas dans un but particulier 🙂

  8. Je reprends, dans le désordre :

    « Les exemples que tu donnes, des Jaïns, des Bishnoïs (mais on pourrait en donner des centaines), relèvent de cet « interventionnisme bénéfique pour animaux ». Du coup, c’est du colonialisme ? Et c’est condamnable ? »
    Interventionnisme signifie ériger l’aide en système (d’où la question posée au départ : « Faut-il stopper, ou à tout le moins amoindrir, la prédation ? »). La religion jaïn ou bishnoï ne prétend pas intervenir dans l’ordre du monde (Dharma), mais juste porter soi-même assistance à autrui (karma).

    « Je pense, par exemple, qu’entre autres, les progrès de la médecine sont une bonne chose à promouvoir auprès des « populations » qui n’ont pas ces progrès. Le fait que ce soient des colons, des associations caritatives, Hitler, Gandhi, Pierre, Paul, ou Jacques qui effectuent une action n’a pas d’impact sur le côté bénéfique ou non de l’action. »
    Gandhi, que tu cites, a dénié aux Anglais le droit d’occuper l’Inde ; ils avaient pourtant construit des routes, des écoles, des hôpitaux, etc. Etait-il ingrat, ou bien avait-il une certaine idée de la dignité des Indiens ? Bien entendu, les actions associatives ou gouvernementales qui aident les populations en souffrance sont une bonne chose. Mais peut-on comparer (comparaison n’est pas raison, dis-tu avec justesse) la prédation instinctive (va dire à Minou que ce n’est pas bien de courir après les souris) avec les maladies ou les guerres, qui sont souvent des conséquences de la prédation humaine ?

    Quant à l’Unité de toutes choses, je t’invite à consulter la physique quantique, qui a d’un certain point de vue confirmé scientifiquement les sagesses orientales :
    – tout est fait de vide, un vide plein d’énergie ;
    – tout est interrelié ;
    – le temps et l’espace n’existent pas, car tout est maintenant.
    Cela nous mène tout droit à ce que tu nommes « existence » : si tout est vide, interrelié et atemporel, qui existe ? Qui dit qu’il existe ?

    1. Merci pour toutes ces explications !

      Je ne commenterai pas les notions de karma, d’unité, etc., parce que cela relève de croyances (que je respecte, évidemment, et des croyances, j’en ai aussi) et non de données factuelles, de connaissances, de certitudes. Je préciserai simplement que la physique quantique est souvent reprise, à tort ou à raison, de manière déformée ou pas, par tout un tas de pseudosciences ou, disons, de choses qui relèvent plus de la croyance que de la connaissance. Au sujet de la physique quantique et de son utilisation parfois galvaudée : https://www.youtube.com/watch?v=umoS5BN11Jo

      Je rajouterai aussi que c’est toi qui as parlé d’existence, justement ;-). On pourrait effectivement parler très longtemps de « existe t-on ? », mais c’est un autre sujet. Un sujet passionnant d’ailleurs 🙂

      Je parlais de Gandhi, comme des autres, à titre d’illustration, hein : j’aurais pu prendre n’importe quel nom. Ce que je veux dire, c’est que pour évaluer si une action X est bonne, la seule chose à analyser ce sont ses conséquences, pas qui la fait, et pas sa typologie (vol, colonialisme, don, construction, etc.). Si je vole une pomme dans un supermarché pour nourrir ma famille, on peut considérer que ce n’est pas une « mauvaise » action, etc.

      Sur la prédation, donc : je ne parle pas de « dire à Minou etc » (je pense que mon chat s’en ficherait 😉 ), et je répète que je n’ai pas de réponse sur les modalités, je voulais simplement amener la question philosophique et préciser qu’intervenir ne me semble pas une position de principe absurde, une fois les modalités déterminées. Et je pense que, du point de vue de la victime, encore une fois, la souffrance c’est la souffrance, peu importe l’origine, humaine, animale ou autre.

      J’aime bien discuter de tout ça 😉

      1. Je vais regarder cette vidéo sur les interprétations de la physique quantique avec intérêt.
        Néanmoins, je me permets d’observer que parler « de connaissances, de certitudes » est déjà hors du monde quantique, puisque ce qui le caractérise est précisément l’incertitude…

        Concernant les « croyances », il me semble que la première d’entre elles est celle qui consiste à se prendre pour une entité figée (l’ego). De cette croyance découlent toutes les autres. Voilà pourquoi je posais la question initiale : Qui suis-je ?

        Oui, voler une pomme pour nourrir sa famille (ou un potiron si c’est une famille nombreuse) est en soi une bonne action. Mais attention aux arbres qui cachent de sombres forêts… Un missionnaire qui vient soigner une population pour mieux l’endoctriner, un mouvement intégriste qui porte assistance aux nécessiteux pour les embrigader, une multinationale qui donne des logements aux gens pour mieux les exploiter, etc.

        Toute action est motivée par une intention. Si l’intention est louable, alors c’est une bonne action, car elle créera plus d’harmonie, de compassion (et d’unité, j’y reviens !). Si l’intention est intéressée, alors elle créera à terme des frustrations, des haines, des guerres…

        Si l’on revient à nos moutons (!), donc à la prédation, je persiste à m’étonner qu’on envisage de l’éradiquer. D’abord parce que la prédation commence dans le microscopique, entre bactéries, anticorps, etc. Bon, certes, ici la souffrance n’est peut-être pas présente. Mais c’est néanmoins à cette échelle que débute le phénomène, qui ensuite s’étend au monde macroscopique.

        Et quid des parasites, qui sont des prédateurs entraînant d’incontestables souffrances ? Faudra-t-il éradiquer les milliards de milliards de parasites de la surface du globe et du fond des océans ?

        Quant aux innombrables grands prédateurs, ils ne font que nourrir leurs enfants (comme le voleur de pomme). La souffrance que cela implique est liée à un fonctionnement plus global, comme dit plus haut : depuis les micro-organismes jusqu’aux macro-organismes. On pourrait d’ailleurs élargir ce fonctionnement à la vie des arbres et autres plantes, mais aussi aux étoiles et aux galaxies (cf. Vahé Zartarian, « Kosmogonie – La conscience créatrice »), lesquelles se bouffent entre elles pour avoir leur espace vital…

        C’est pourquoi il est, selon moi, préférable d’avoir une vision spirituelle de ce fonctionnement global (qu’on l’appelle « Dharma » ou « Scoubidou », peu importe) ainsi que de l’action individuelle (« karma » ou « choucroute », peu importe). Cette vision permet un recul, un examen non émotionnel de la souffrance, de ses causes et des moyens de s’en affranchir.

        1. Je suis assez fan de l’action individuelle « choucroute » (même si j’ai toujours détesté la choucroute) 😂

          Hehe, sur les intentions à l’origine d’une action, nos avis divergent décidemment (ce qui n’est pas grave, et je serais bien en peine de savoir qui a raison). Je suis pour ma part conséquentialiste (je ferai un article là-dessus un jour) et les intentions ne m’importent pas. Seules les conséquences importent pour moi.

          Merci en tout cas pour toutes tes précisions et pour avoir enrichi le débat ! 😊

  9. Moi je suis complètement #fangirl de cet article. C’est une question hyper intéressante, sur laquelle je n’ai pour l’instant pas vraiment d’avis (du coup merci pour les ressources à la fin, c’est bookmarqué!). Il est néanmoins intéressant de constater que devant un reportage animalier, la plupart des gens (surtout les enfants) ressentent une certaine tristesse pour la gazelle qui va se faire manger, et au contraire se réjouit si elle parvient à s’enfuir (un petit côté #TeamUnderdog), du coup dans notre esprit on est un peu interventionniste dans ces cas là j’ai l’impression. Bref, je n’apporte rien au débat mais ces quelques minutes de #PsychologieDeComptoir vous ont été offertes par NRJ12… !

    1. 1) Merciiiiiiiiiiiiiiii ! Mais le truc le mieux dans cet article c’est ce qu’il y a tout en haut avant la photo.
      2) C’est pas faux ! Mais ne se dit-on pas alors que de toute façon, la main invisible de la nature va prendre la bonne décision (ou alors une décision irrémédiable) et que tant pis pour la #TeamUnderdog si jamais cette main la montre du doigt de manière véhémente ? Dame Nature me semble disposer d’une aura de bienveillance que n’ont pas les humains en la matière 😉
      3) Tu apportes au débat au moins autant que mes mille putains de questions sans réponse, rassure-toi 😉
      4) Dans NRJ12 y’a énergie et presque B12, coïncidence ?

      1. Concernant l’aura de bienveillance de « Dame Nature », une citation explicite de Dawkins : « La seule pensée de la quantité de souffrance annuelle dans la nature ne peut que vous laisser hébété. Durant la minute qu’il me faut pour écrire cette phrase, des milliers d’animaux sont mangés vivants ; d’autres courent pour sauver leur vie en gémissant de peur ; d’autres sont lentement dévorés de l’intérieur par des parasites ; de milliers d’animaux de toutes sortes meurent de faim, de soif et de maladie. »
        Richard Dawkins, Qu’est-ce que l’Évolution, Hachette Littératures, 1997 [1995], pp. 149-150.
        Et, concernant « la main invisible de la nature », je renvoie à David Olivier, « La Nature ne choisit pas », dans les Cahiers antispécistes ; et à « Pour en finir avec l’idée de Nature… et renouer avec l’éthique et la politique » (http://tahin-party.org/finir-idee-nature.html). 🙂

        1. Oui, j’ai mis la citation dans mon article 😉

          Merci pour les références ! Je pense un jour prochain faire un article sur l’idée de nature dans la PA, d’ailleurs…

        2. Tout dépend de l’angle sous lequel on observe « Dame Nature »… Selon certains auteurs, comme Pablo Servigne (« L’Entraide, l’autre loi de la jungle ») ou l’incontournable Matthieu Ricard, l’interaction des espèces, loin de s’effectuer dans le massacre généralisé, se manifeste beaucoup sous forme d’entraide, de coopération.

          « Qui plus est, écrit Servigne, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus. »

          La prédation, qui est une réalité, n’est qu’une facette d’un tout plus large, un ensemble de liens qui se tissent entre les êtres.

          Ainsi, on pourrait paraphraser votre citation de Dawkins comme suit : « Durant la minute qu’il me faut pour écrire cette phrase, des milliers d’animaux s’aident les uns les autres, coopèrent dans un intérêt commun… »

          Il me semble que la vision néodarwinienne que vous portez est un peu dépassée.

  10. Louve des steppes

    Alors le livre de Bekoff s’appelle « les émotions des animaux». https://www.amazon.fr/%C3%A9motions-animaux-Marc-Bekoff/dp/2743624434

    Je l’ai prêté et on ne me l’a pas rendu je ne peux donc pas être très plus précise, mais il décrit son observation des coyotes et notamment l’exclusion d’une femelle d’un groupe, qui revient régulièrement et qui est rejetée chaque fois. Si mes souvenirs sont bons, il interprète ce banissement comme un acte moral (je n’ai plus en tête les arguments précis).

    Autre notion intéressante, celle de l‘ « umwelt », que Franz de Waal rappelle dans son livre « sommes nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ». Nous vivons sur la même planète mais la perception de la réalité d’une tique, d’un rat-taupe, d’un calmar, ou d’un lion est si différente qu’on peut se demander si leur monde est le même (et il ne l’est sans doute pas puisqu’il peut être aérien, aquatique, anaerobie ou souterrain)
    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Umwelt

    Cette notion n’embrasse pas directement celle de morale, cependant elle met à mal l’anthropocentrisme et permet aussi de relativiser notre anthropomorphisme (que j’assume et revendique!).

    Voilà, j’espère que cela te sera utile. 🙏
    Encore merci pour ces échanges géniaux.

  11. Moi aussi je balance mon commentaire un peu en vrac, désolée si je redonde d’autres commentaires que je n’ai pas eu le courage de lire entièrement, s’il n’y a pas de suite logique dans mes paragraphes ni même de lien apparent avec le contenu de l’article, et si mes propos sont très subjectifs, mais j’avais besoin de m’exprimer… 😉
    J’avoue en outre n’avoir pas encore pris le temps de consulter les liens partagés, mais ça ne saurait tarder ! 🙂

    Je n’ai aucune réponse concrète ni référencée à apporter aux questions soulevées ici, mais là, tout de suite, je m’interroge quand même sur la nécessité d’intervenir sur la population des prédateurs, et donc consécutivement sur celle des herbivores, puis sur l’ensemble des êtres vivants, puis finalement sur le milieu de vie, et tutti quanti… A longue échéance, c’est toute la biocénose et le biotope que l’on risque de chambouler, c’est-à-dire un écosystème complet. Quel est le but à cela ?
    Est-ce que cela vaut le coup de mettre en péril tout un environnement parce que, nous, humains, on ne supporte pas l’idée de souffrance ?

    Sans renier l’individu, je pense qu’une approche plus holistique serait intéressante pour ce débat.
    On hérite aujourd’hui de l’interventionnisme archaïque de l’homme, inconscient de la portée de ses actes, qui a déjà beaucoup façonné les paysages, notamment pour ses besoins sédentaristes et pourrait-on dire vitaux, et qui a du coup recréé de nouveaux écosystèmes dans lesquels nous baignons actuellement et dont certains ne vont pas si mal.
    Evidemment, cela s’est aussi fait au détriment d’autres écosystèmes pré-existant qui se géraient très bien tout seul, avec tout ce que cela comportait d’ordre et de chaos. On a décimé des populations entières, et on participe encore maintenant à la destruction de biotopes et à l’extinction de milliers d’autres espèces, tous règnes confondus, non plus pour des besoins essentiels, mais par pure lubie impérieuse et mégalomane.
    Ok, il y a des initiatives utiles comme la gestion et la préservation de sites ou de réserves naturelles (par exemple, un biotope rare avec un biota endémique très riche, où l’on « supprimera » par sélection toute espèce « invasive » susceptible de dégrader le milieu, de l’appauvrir ou de contribuer à le transformer en un biotope plus « classique »), cela dit je suis convaincue que sans l’omniprésence humaine et son délire de suprématie, les populations finiraient fatalement par s’auto-réguler en fonction des ressources disponibles (fait écologique. Voir : dynamique des populations)

    Concernant la souffrance animale, je suis très sensible à ce que ressent tout organisme vivant (même les végétaux qui ont des formes d’intelligence et de sentience bien à eux, oui oui !), mais je ne suis pas choquée quand j’apprend qu’un squale a goûté un bout de viande humaine, ou qu’il a déchiqueté son met favori… disons que je ne m’en émeus pas plus (ni moins) que devant l’agonie d’une brave pipistrelle qui s’est méchamment fait culbuter par une voiture (pauvre ratapignata).
    Je trouve juste cet acte nourricier « normal », contrairement au « bat sprotch »… 🙁

    Sans doute pour l’homme ce type d’événement aurait pu être évité avec tous les moyens de prévention dont nous disposons aujourd’hui, mais qwé ?
    Est-ce que parce qu’il y a eu géhenne et qu’il y a un risque que cela se reproduise, on doit massacrer préventivement tous les (super)prédateurs ? Malgré qu’ils soient indispensables au bon équilibre de leur écosystème à l’instar de tous les autres organismes ?
    En extrapolant, est-ce que je dois mettre une herse devant chez moi pour crever les pneus de tous les automobilistes qui passent et leur casser la gueule parce que l’un d’entre eux a mortellement percuté ma brave minette de 21 ans à m’en briser le coeur (je ne peux même pas imaginer qu’elle ait pu souffrir ne serait-ce qu’une seconde avant de mourir lamentablement) ?

    A mon sens, aucune bestiole autre que l’homme tue sans aucune nécessité, juste pour la jouissance de voir sa victime souffrir. J’ai du mal à concevoir que des cas de psychopathie puisse exister ailleurs dans le règne animal…
    En revanche, mille raisons de tuer, pas seulement alimentaires, dont la plupart nous sembleront intolérables, ce que là je conçois : parfois territoriales, parfois dans un souci de (auto)régulation de la population, parfois platement pour assouvir un appétit sexuel irrépressible… etc.

    C’est sûr que se faire bouffer encore vif, ce doit être atroce…
    Aussi peut-on se questionner sur la perception, voire la conscience, de la souffrance d’une proie par le prédateur, et du coup sur sa capacité (ou non) à décider d’une mise à mort dans le but d’abréger la douloureuse agonie (ou non).
    Evidemment, une espèce n’est pas l’autre et il faudrait s’immerger plus qu’une vie dans l’observation éthologique de chacune d’elle pour vraiment comprendre leurs moeurs sans verser dans l’anthropomorphisme…

    Pour bien faire comprendre que je ne suis pas une personne sans coeur : je crois que le bénévolat régulier dans un centre de soin pour la faune sauvage m’a fait relativiser mon affect face à la souffrance, physique et psychique, des animaux et même de celle des humains.
    Je ne rejette pas l’affection, voire l’amour, que j’éprouve pour ces êtres, parce que c’est un moteur, une réelle motivation pour prester une telle activité, mais de côtoyer cette souffrance, ainsi que la mort, m’a fait prendre certaines distances, ne serait-ce que pour me protéger psychiquement, et mettre mes états d’âme de côté pour être rationnelle et efficace dans la pratique des soins et surtout pour mieux accepter que l’on ne peut pas tout sauver (et c’est pas faute d’essayer).

    L’enjeu de ces centres de soin est par ailleurs souvent sujet à controverse et interroge sur son évident interventionnisme.
    On recueille tous les animaux sauvages (bien qu’on nous interdise les espèces gibier ou dites « nuisibles », pure aberration…), on soigne comme on peut et on relâche, bref on revalide.
    Des gens nous disent : « Ce n’est pas naturel ce que vous faites ! »
    Alors, oui, admettons, ce n’est pas naturel d’aider un animal qui serait blessé ou affaibli par une cause « naturelle », et qui finalement agoniserait et mourrait dans un milieu « naturel » au profit de prédateurs, charognards et autres micro-organismes nettoyeurs…
    Mais quid des pensionnaires qui nous parviennent à cause de l’humain ? Les voitures, les fils barbelés, les électrocutions, la chasse, les chats ou les chiens, la taille des haies ou la tonte (pelouses ou prairies), l’abattage ou l’élagage intempestifs des arbres et arbustes, la rénovation de toiture ou de mur, les empoisonnements (toxiques agricoles et autres), le manque de nourriture et de logement consécutifs aux biotopes dégradés… ? On fait quoi de ceux-là ? On les laisse crever la bouche ouverte, sans état d’âme ? Non, bien sûr.
    On tente de sauver tous ces animaux parce qu’on estime que cela en vaut la peine, encore plus les dégats d’origine humaine, ou parce que parfois ce sont des espèces rares à revalider absolument car il faut rebooster leur population en déclin, tout simplement.
    En somme, on agit un peu en fonction de notre conscience personnelle, de notre perception et de notre connaissance du monde « naturel ».

    Dans ce cas précis, il y aurait tout un travail à réaliser en amont pour réduire et les interventions « négatives » (dégâts d’origine humaine) et les interventions « positives » (soigner la faune sauvage), par exemple en réhabilitant les bocages, c’est-à-dire en remplaçant les fils barbelés par des haies vives constituées d’espèces indigènes et de trognes qui serviront de barrière au bétail et aux éventuels prédateurs (une solution pour éviter de les tuer!), en plus de servir d’abri, de logis et de garde-manger à une foultitude d’espèces (bon, ce type d’aménagement c’est aussi une intervention humaine, mais elle est établie une fois pour toute !).

    Voilà, j’espère que ce n’est pas trop pompeux ni pompant, pas sûre d’avoir apporté un éclaircissement quelconque… par contre encore plein d’autres questions. 😉

    En tous cas, grand merci pour ton article qui prête à haute réflexion ! 🙂

  12. PIERRE-MARCEL REIGNIER

    Les conférences de David Olivier et de Thomas Lepeltier de 2015, quel choc! Cela fait belle lurette que j’avais pris conscience que Dame Nature ne fait pas bien les choses du tout, mais sans avoir osé aller au bout du raisonnement. Sans pitié pour la version bisounours (qui enterre ses proies vivantes…) de la vie sauvage que tant d’animalistes voudraient conserver. Pour résumer, en paraphrasant librement David Olivier: mieux vaudrait raser 1 hectare de forêt pour en faire un parking goudronné, il en résulterait moins de souffrance animale. Constat tragique parce qu’incontestable. Curieusement, les seuls animaux dont on peut considérer (tout anthropomorphisme assumé) qu’ils ont des chances de connaître une vie satisfaisante sont les animaux dits de compagnie (pièce à conviction n°1: mon chat), ceux-là même que nombre d’animalistes voudraient voir disparaître parce que trop ‘colonisés’ (en référence à l’un des commentaires), trop dénaturés par l’homme. Paradoxal, non?

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  15. Ping : Débunkage #5 : le totalitarisme des gazelles cis blanches qui ont tous les droits | How I Met Your Tofu

  16. J’ai vu que iamvegan-tv vient de publier une interview de Pierre Rigaux sur le sujet, si jamais 🙂 et ton article a été posté dans les commentaires

  17. Ping : Débunkage #7 : l'agenda caché des antidreyfusards à la solde du transhumanisme qui mangent des nourrissons | How I Met Your Tofu

  18. J’aime beaucoup ton blog qui donne à réfléchir. Mais cet article me dérange …
    Je fais des études de biologie parce que je suis fascinée par le vivant. Et l’idée de réfléchir à la souffrance des animaux sauvages ne me paraît pas absurde mais cela reste pour moi à faire avec tant de pincettes qu’à mon avis cette question dépasse l’intelligence humaine ! Chaque cause, aussi noble soit elle, doit je pense reconnaître et accepter ses limites.
    (1) Déjà parce que le meilleur moyen de supprimer la souffrance de la Terre est d’y supprimer la vie … Attention je ne dis pas qu’on ne doit pas chercher à réduire la souffrance. Mais pas à la supprimer.
    (2) Ensuite parce qu’à être trop interventionnistes on rendrait toutes les autres espèces (encore plus) dépendantes de la survie de la notre. A-t-on envie que toute la vie s’éteigne en même temps que nous ? Moi personnellement non …

    Donc personnellement l’idée même de supprimer la prédation me dérange énormément parce que ce monde ressemble pour moi plus à une dystopie qu’à une utopie.

    1. Bonjour et merci !

      JE dis bien dans mon article que je suis favorable sur le principe à l’interventionnisme ; dit autrement, qu’il ne faut pas fermer les portes à cette possibilité par principe, mais que ça dépend des modalités. Je te rejoins évidemment sur les pincettes 🙂

      Je suis pour l’intervention si les conséquences sont bonnes, voilà 🙂

      Par exemple, à aucun moment je n’appelle à supprimer la prédation : en fait, je dis bien que je n’ai pas les réponses.

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