Trois histoires végé-friendly de feignasse #1

Vous connaissez ces sitcoms et ces dessins animés qui sont atteints, par moment, de grosse flemme et qui, au lieu de vous proposer du contenu inédit, vous préparent un épisode best of avec des trucs que vous avez déjà vus dans les autres épisodes ? C’est ignoble, hein ? Irrespectueux ? Absolument impardonnable ? Complètement dégueulasse ? Hautement répréhensible ? Proprement honteux ? Parfaitement minable ?

Hum.

Pour la nouvelle année, et comme j’ai un travail fou, et comme de toute façon je fais ce que je veux, je vous propose de retrouver les trois premières histoires que j’ai publiées dans le magazine de l’Association végétarienne de France, Alternatives végétariennes. Parce qu’au milieu des trucs bien, il y a moi, qui y écris une histoire tous les trimestres.

Enjoy. En 2018 mots en tout (si, si, comptez), parce que je fais pas les choses à moitié pour la nouvelle année, moi.


Histoire cochonne entre chien et loup

Il était une fois, dans un pays très lointain (ou pas), trois petits cochons qui vivaient chacun dans une maisonnette. Le premier avait construit sa maison en paille, parce qu’il était un peu con. Le deuxième l’avait construite en bois, en s’étant bien assuré de respecter le programme « zéro déforestation illégale » de la FAO parce que sa démarche était super eco-friendly. Le troisième l’avait construite en béton, et puis l’avait peinte en fuchsia, juste pour emmerder ses voisins d’en face.

Un soir d’hiver glacé, un loup vint frapper à la porte du premier cochon : il préparait en effet un curry de légumes et n’avait plus de lait de coco. Le cochon, de lait, n’en avait point. Il lui proposa de la crème fraîche, mais le loup était végétalien, et refusa poliment. Aucun produit d’origine animale n’était donc jeté dans la gueule du loup ? Ce fut un choc pour le cochon : comment ce loup pouvait-il avoir l’outrecuidance de venir ainsi étaler ses préférences alimentaires ? Il mangeait de la viande, des œufs ou du lait s’il voulait ! Le loup expliqua calmement qu’il ne cherchait pas à faire de prosélytisme, mais que puisque la question était sur la table, il fallait bien reconnaître que l’on n’était pas dans le domaine du « choix personnel » parce que d’autres êtres sensibles étaient impactés par cette consommation. Le cochon, qui avait un caractère de lui-même, le ficha à la porte sans ménagement.

Le loup se rendit donc chez le deuxième cochon. Il exposa son problème, et le cochon fut enthousiaste : il avait effectivement du lait de coco, plus précisément du lait de coco bio issu du commerce équitable, qu’il utilisait pour faire mariner son bœuf bio local acheté dans l’AMAP du coin. Il lui proposa même de goûter. Le loup hésita un instant, échaudé par sa déconvenue précédente, mais tenta sa chance tout de même en demandant très gentiment au cochon s’il savait que l’élevage était l’un des secteurs qui émettaient le plus de gaz à effet de serre, qu’il était responsable de 80% de la déforestation et du gaspillage d’énormément d’eau. Le cochon lui dit qu’il faisait déjà suffisamment d’efforts comme ça, que lui et le loup n’avaient pas été élevés ensemble, et qu’il n’avait qu’à aller faire sa propagande ailleurs.

Le loup, dépité, alla enfin sonner à la troisième maison. Un cochon lui ouvrit et écouta sa requête. Oui, bien sûr qu’il avait du lait de coco. Il était végane depuis quelques mois, et aimait beaucoup cuisiner. Il avait éliminé de son alimentation tout produit d’origine animale, suite au visionnage d’une vidéo YouTube de 3 minutes 42 secondes qui avait changé sa vie à jamais. Cet hiver, il avait pu découvrir les joies des ragoûts végé, s’était mis à faire lui-même son seitan et envisageait d’investir dans un sac à lait végétal pour préparer son lait de soja maison. Ravi d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui le comprenait, le loup se mit à lui raconter ses mésaventures autour d’un goûter végétal. Le cochon fut, bien sûr, réceptif. Un peu trop.

Il se mit à insulter les autres cochons et truies du pays, en les traitant de meurtriers. Comment pouvaient-ils se regarder en face alors qu’ils consommaient de la viande ou du lait ? Le loup, tout en donnant de la confiture au cochon, lui objecta qu’avant d’être végétaliens, l’un et l’autre mangeaient de la viande, et qu’il ne fallait pas perdre de vue que les autres n’étaient pas des « méchants ». On devait simplement expliquer les choses afin que les mentalités évoluent. Ne pas faire aux truies ce qu’on ne voudrait pas que l’on nous fasse, en somme. Le loup fut agoni d’injures, accusé de traîtrise et mis, une fois de plus, à la porte.

Moralité : quand personne ne t’écoute, fais-toi des pâtes.


Dîner de famille chez les végé-terriens

Tout était prêt pour ce soir. J’avais mis les petits plats dans les grands, mais comme je m’étais rendu compte que j’aurais aussi besoin des grands, j’avais finalement mis les uns comme les autres sur le feu. Au menu : des samoussas courgette, menthe et fromage de noix de cajou en entrée, une salade césar au tofu croustillant en plat, et un carrot cake au lait d’amande en dessert. J’étais heureux d’accueillir ma famille, et surtout mon frère, qui allait nous présenter sa nouvelle copine, Esther. Je ne l’avais pas vu depuis qu’il avait accepté ce boulot sur Saturne. Cela faisait combien de temps ? Trois ans terriens ?

La sonnette me sortit de mes pensées. Mes parents étaient arrivés avec mon frère et Esther. Je les accueillis, leur proposai un verre d’huile d’arachide (je n’avais jamais accroché à cette mode, mais c’était devenu une marque de politesse élémentaire après tout) et, les banalités échangées, nous passâmes à table.

Je sentis le malaise dès que j’apportai l’entrée. Puis ce fut mon frère qui rompit le silence.

– Hum… Esther est viandéenne.

J’ignorai totalement que des gens suivaient encore ce régime alimentaire. Je croyais savoir qu’il s’agissait d’un mouvement (d’une secte ?) qui ne mangeait aucun  aliment d’origine végétale, pour diverses raisons. J’étais dépité. Je n’avais évidemment rien à la maison pour elle. Mon frère me rassura : Esther avait apporté son repas. Elle sortit d’ailleurs de son sac ce qui ressemblait à du seitan, mais légèrement plus rouge (un « steak » me dit-elle), et l’aspergea d’une sorte de margarine animale.

Je l’interrogeai, plein de curiosité : c’était la première viandéenne que je rencontrai. Quelles étaient les raisons de son mode de vie ?

– Vois-tu, j’ai des canines qui nécessitent un frottement régulier avec de la viande. Si elles restent trop longtemps sans ronger de la chair animale, elles tombent, et l’ensemble de mes membres aussi. Et tu sais, je veux pas faire ma chieuse mais moi je mange pas d’êtres vivants. Quand tu manges une noix de cajou ou une courgette, tu manges un être vivant. Ce steak est un morceau d’être vivant, c’est très différent. Quand je le fais cuire, cela ne provoque pas de souffrance. Quand tu découpes une aubergine ou – elle déglutit, la larme à l’œil – que tu ouvres une noix, si.

Je restai immobile, la fourchette en l’air, un bout de courgette mentholé entre les lèvres. Cela pouvait-il être vrai ? Étais-je un monstre ? Les carottes que j’avais tranchées pour le dessert avaient-elles crié sans que je les entende ? La voix tremblante, je l’interrogeai sur les difficultés de ce mode de vie.

– Non, c’est pas difficile. Il suffit de trouver un animal et d’attendre qu’il dorme. On peut aussi provoquer son endormissement avec des gaz ou divers moyens. L’essentiel, c’est qu’il ne soit pas conscient pour qu’il ne souffre pas quand on le découpe. Pour faire ce steak, j’ai fait le guet et attendu une vingtaine de minutes qu’une vache fasse sa sieste, et je lui ai sauté dessus pour la découper le plus vite possible avec un sabre laser. Comme ça, pas de souffrance. Le plus dur, en fait, ça a été de la voir br… brouter de l’herbe vivante ju… juste avant…

Elle fondit en larmes. Je me sentais gêné et un peu coupable. À aucun moment je n’aurais imaginé que les viandéens pouvaient avoir tant de bons arguments pour éviter les produits végétaux. Je lui donnai un morceau de papier de verre pour qu’elle essuie ses larmes (autre usage qui m’avait toujours échappé) et la rassurai : je la comprenais tout à fait et comptais même essayer le viandéisme. Elle sourit, et nous finîmes le repas gaiement en trinquant à l’amour, à la tolérance et à la vie.

Esther mourut trois jours après, embrochée par un rhinocéros de Saturne.


Steak d’amour à l’unilatéral

Il existe en France une association très active qui cherche à promouvoir la pratique du karaoké de compétition. Ses militants sont extrêmement virulents, et certains d’entre eux seraient prêts à tuer pour être parmi les meilleurs. Le taux de mortalité des champions karaokistes est d’ailleurs huit fois plus élevé que la moyenne. Coïncidence ?

Un jour, Freddy, militant karaokiste de bas niveau, en rentrant gaiement chez lui après un karaoké chez un ami (il avait battu son record sur l’intégrale Lara Fabian), tomba sur un tracteur. Non, il ne trébucha pas sur un véhicule agricole : il rencontra un jeune homme qui distribuait des prospectus pour un événement culinaire ayant lieu le soir-même. Il s’agissait d’une dégustation de tapas végétaux. Bof. Ce n’était pas trois fanes de radis sur une rondelle de carotte qui allaient le caler. Ha, c’était gratuit ! Youpi. Oui, Freddy était radin.

Freddy se rendit sur les lieux de la dégustation à l’heure indiquée, et, à sa grande surprise, il y avait plein de choses appétissantes : des trucs roses, des machins jaunes, des bidules verts… Ainsi que des mini-burgers, des mini-pizzas, des mini-quiches… Freddy allait pouvoir s’en donner à cœur joie. De surcroît, la jeune femme qui tenait le stand des tartelettes était mignonne, et il décida d’aller l’aborder en lui posant des questions sur les tartelettes mauves posées devant le jus de mangue. Oui, Freddy était lourdingue.

Elle s’appelait Mégane. Elle militait dans une association de promotion du végétalisme depuis quelques mois, et elle ne mangeait plus de produits d’origine animale depuis quelques années, pour des raisons éthiques, mais aussi environnementales. Freddy, quant à lui, n’avait pas mangé un légume depuis trois mois. Son quotidien était rempli de chips, de bonbons et de poulet frit. Mais au-delà de leurs différences – comme le disait si bien David Hallyday – un point crucial les rassemblait, pensait-il : le militantisme. Leurs combats étaient au fond les mêmes : la fin de l’exploitation animale d’un côté, et le droit de chaque individu de chanter du Bon Jovi en paix de l’autre. Oui, Freddy avait des comparaisons bizarres. Mais il était amoureux. Il résolut de conquérir le cœur de Mégane.

Malheureusement, dans le monde du karaoké de compétition, les choses sont assez réglementées. Il dût demander au Conseil Supérieur du Karaoké l’autorisation de pouvoir courtiser une non-karaokiste. Après avoir rempli les huit formulaires idoines, il dût, comme la tradition l’exigeait, sauter en moto au milieu de trois cerceaux enflammés tout en faisant des vocalises. Il affronta ensuite un robot ninja, dont il devait esquiver les coups de sabre empoisonné en se baissant au rythme de Thunderstruck du groupe AC/DC.

Les épreuves se succédèrent pendant des mois. Rester en apnée dans une piscine pendant les 8 minutes et 3 secondes de Stairway to Heaven de Led Zeppelin. Escalader le mont Fuji d’une main tout en jouant de la flûte à bec de l’autre. Écouter une chanson de Patrick Sébastien en entier sans se boucher les oreilles. Tout cela était dur, mais l’amour était plus fort que tout.

Enfin, après six mois de souffrances et d’exploits, Freddy obtint son autorisation, et invita Mégane au restaurant. Après tant d’efforts, il allait enfin pouvoir partager un repas avec l’élue de son cœur. Pendant l’apéritif, elle lui parla de la souffrance des animaux, et des conséquences de l’élevage sur la planète. Freddy écouta, captivé, et raconta quant à lui les épreuves qu’il avait surmontées durant les six mois précédents.

Elle prit des pâtes. Il prit un steak.

Parce qu’arrêter la viande, lui dit-il, c’était quand même beaucoup trop difficile pour lui.

Il prit une claque. Elle prit son manteau.

Il la regarda partir, bouche bée, regarda autour de lui, puis dit : “bah qu’est-ce que j’ai dit ?”.

2 réflexions sur “Trois histoires végé-friendly de feignasse #1”

  1. Merci pour ce sympathique cadeau de bienvenue à 2018. Réjouissant, subtil et même troublant, ce qui, je crois, est le propre de tout humour de qualité, non vain. Pourrais-tu continuer de parsemer l’année de tes contes végé-moraux? Je m’en lèche les babines d’avance…

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