J’aime pas le foot.
Oui, je suis un rabat-joie. Chaque fois, lorsque la nation vibre au son des « tututu tutututu » (je fais vachement bien le vuvuzela) et acclame les footballeurs qui vont lutter pour que la France pleure des larmes de joie dans sa Kronenbourg, je suis chiant. Et un peu snob, peut-être. A sortir des phrases du genre « Mmmm ? Si j’ai vu le match ? Le match de quoi ? » en pleine coupe du monde de foot, pour que mon interlocuteur comprenne bien que je m’en tape. Ou à dire Barthès au lieu de Barthez, exprès évidemment. Mais je me soigne, et je deviens progressivement moins snob.
Je n’ai rien contre le football en tant que tel : c’est une activité comme une autre, et si des gens trouvent du plaisir à regarder ça, tant mieux. J’aurais plus à redire quant au système financier et communicationnel qui va avec, mais c’est encore autre chose.
En bref, chacun son truc. Moi, ma came, c’est de regarder des gens finir Zelda: Ocarina of Time en 18 minutes. On peut pas dire que ce soit plus intelligent.
Comme dit le poète :
Personne dans le monde
Ne marche du même pas.
Et même si la Terre est ronde,
On ne se rencontre pas.
Les apparences et les préférences
Ont trop d’importance.
Acceptons les différences.
C’est vrai, faut de tout, tu sais,
Faut de tout, c’est vrai,
Faut de tout pour faire un monde.– Arnold et Willy Jackson, 1978 –
Je viens de perdre tous les moins de 25 ans.
Non, ce qui me rend vraiment rabat-joie est, qu’à chaque fois, je ne comprends pas la raison pour laquelle il faudrait absolument soutenir l’équipe de son pays. Pourquoi, parce que je suis Français (oui, je mets une majuscule, la règle est nébuleuse), je devrais aller applaudir Zidane et Barthès (ou leurs successeurs, dont je ne connais pas le nom) et pourquoi on en fait tout un foin. Je suis né, par le hasard le plus total, en France, j’y ai grandi, mais c’est une circonstance tout à fait extérieure à moi. Je ne tire ni fierté ni bonheur de cela, comme je ne tire pas fierté de l’oeuvre de Victor Hugo, de Berlioz ou de Zaz (pour d’autres raisons). Je ne vais pas non plus être fier ou heureux que des gens qui ont la même nationalité que moi (ou qui ont été embauchés par des gens qui travaillent pour une organisation qui a son siège dans le même pays que là où j’habite, enfin j’y comprends plus rien à toutes ces histoires) gagnent une médaille.
Des expressions comme « on a gagné » ou « ils nous ont mis la pâtée les Portugais » me laissent songeur, parce que je n’arrive pas à m’identifier aux « on » ou « nous » en question. Je n’irai pas jusqu’à qualifier cela de repli identitaire, parce que c’est sans doute bon enfant et pas vraiment dangereux, dans le cas du sport en tout cas. Disons juste que c’est selon moi une catégorisation qui n’a pas vraiment de justification rationnelle. D’où le rabat-joie.
Pourquoi je vous emmerde avec ça aujourd’hui ? Quel rapport avec les animaux ?
D’une part parce que si vous mettez des petits porcelets à la place des joueurs, ça devient tout de suite plus mignon et je pense que je me prends un abonnement au Stade de France. S’ils sont volontaires, bien sûr.
D’autre part parce que ce genre d’identification me rappelle un peu la logique inhérente au spécisme (oui, je vais chercher loin). Je m’explique : je partage une caractéristique X avec Bob, et cela me permet de penser que je suis plus proche de Bob que de Jean-Yves, avec lequel je ne partage pas cette caractéristique. Avec les conséquences qui vont avec. Que X soit le fait d’être de nationalité française ou le fait d’être un humain, et que Jean-Yves soit un Suédois ou un pangolin, la logique est la même.
Comme j’ai pas encore été assez rabat-joie, je continue.
Pourquoi le fait d’avoir la nationalité française aurait-il un quelconque rapport avec le fait de soutenir une équipe de foot en particulier ? Et pourquoi le fait d’être de telle ou telle espèce aurait-il un quelconque rapport avec le fait de se faire décortiquer et bouffer ?
Ça me dépasse.
Une caractéristique ne doit devenir un critère que lorsque cela est justifié. Je peux décider de soutenir telle équipe parce qu’elle est constituée des joueurs les plus compétents, ou parce qu’elle n’est pas très connue mais pleine de bonne volonté, ou parce que les joueurs sont putain de beaux en short t’as vu ouech gros.
Je peux préférer avoir un chien ou une souris à un éléphant ou à une girafe parce qu’ils prennent moins de place, manger un navet plutôt qu’une vache parce que le navet ne souffre pas, et militer spécifiquement pour les poulets plutôt que pour les dauphins parce que ce sont eux qui en ont le plus besoin. Tous ces critères sont, d’après moi, pertinents pour leurs propres cas d’espèce. Mais parmi toutes les caractéristiques possibles, on choisit la nationalité ? Vraiment ? Ou l’appartenance à l’espèce humaine ? Je suis comme un aveugle dans la chambre nuptiale de jeunes mariés : je ne vois pas le rapport.
Qu’est-ce qui peut justifier qu’on mange des animaux ? Dans nos sociétés industrialisées, on n’en a pas besoin pour survivre. Cet argument s’effondre. De la même manière que, dans le cas du foot, c’est un peu du nationalisme mal placé, dans le cas du spécisme, c’est de l’humanisme mal placé. Et c’est plus dangereux.
Oui, nous sommes des humains, et nous sommes différents des autres animaux. qui ont par ailleurs des différences entre eux aussi. Mais que cela ne nous donne pas le droit de penser que nous ne partageons rien avec les animaux, ou que nous partageons toujours quelque chose avec les autres humains. Nous ne sommes pas que des humains, nous faisons tous partie de milliards de catégories, dont celle d’êtres sensibles. Et c’est cette catégorie qui devrait être privilégiée dans nos rapports à la viande. Redéfinir le « nous ».
La prochaine fois, sur How I Met Your Tofu, ne manquez pas la tentative d’Inugami de faire le lien entre la protection des oiseaux et la philatélie. Ou pas.
Enfin quand je rentrerai de vacances : vous ne me verrez pas pendant les trois prochaines semaines les enfants. Soyez sages.
Il y a une faille. Et, du même coup, une réponse à la question.
– pourquoi se donner le droit de manger des animaux d’autres espèces sous prétexte que nous sommes humains ?
Cette distinction est arbitraire, nous sommes des animaux parmi les autres animaux.
– soit. Mais les animaux se mangent entre eux. Donc si nous sommes des animaux au même titre qu’eux, nous aussi nous pouvons manger d’autres animaux.
(« ils mangent seulement par besoin ! » – non ; par instinct, par plaisir… nourrissez un chat avec des croquettes à volonté, il continue à attraper des souris et des oiseaux.)
– oui, mais les autres animaux ne se posent pas la question ; mais comme nous, nous avons cette capacité, cela nous donne le devoir de nous poser la question. »
Ah. Et donc il y a bien quelque chose qui nous distingue des autres animaux,
et la distinction entre humains et animaux n’est donc pas si arbitraire que vous le disiez – y compris de votre point de vue.
Et cette distinction que vous jugez arbitraire est en fait pourtant implicite dans votre raisonnement.
Non, pas de faille en l’occurrence.
Les humains et autres animaux sont différents, évidemment : je le dis, comme tout le monde. Ce que les antispécistes critiquent, dont moi, c’est qu’aucune différence PERTINENTE ne peut être invoquée pour justifier le fait que l’on mange une vache et pas un ragondin ou un humain. Parce que tout ce qui compte en l’espèce, c’est la souffrance et la sensibilité, que tous trois partagent. Pas le QUI ou la capacité à faire une règle de trois. Aucune caractéristique pertinente en l’espèce ne peut distinguer un traitement différent des trois.
Encore une fois, et je l’ai écrit, nous sommes différents. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas 😉