Gazette de Iota Draconis, 11 bélajaire 47852
Le 10 bélajaire, le Congrès intergalactique a décidé de durcir les règles en matière de production de viande d’humain.
Epsilon du Centaure et Terpischore sont à l’heure actuelle les deux principaux éleveurs d’humains de l’univers révélé, et les groupes de pression locaux ont mené d’âpres négociations pour que les restrictions à leur liberté ne soient pas exagérées. Frttytgh Kfhjh&#j4, directeur adjoint des opérations humaines à Epsilov’Human, leader du secteur de viande d’humain, a pris à cette occasion la parole :
« Notre ambition a toujours été de fournir de la viande d’humain de qualité, élevée dans les meilleures conditions, et nous continuerons à le faire, car nous aimons nos bêtes. Nous attendons des pouvoirs politiques et du public que chacun comprenne que nous respectons la liberté de ceux qui ne veulent pas manger d’humain, à condition qu’ils respectent notre liberté d’en manger, et d’en fournir à ceux qui veulent en manger ».
En ligne de mire, certains habitants de la Fédération intergalactique, notamment ceux de l’astéroïde B12L214, qui ont depuis longtemps pris fermement position contre ce qu’ils appellent « l’exploitation des êtres sensibles ».
L’hypothèse, pour beaucoup farfelue, comme quoi les humains bénéficieraient d’une « conscience » ou d’une « sensibilité » a été tranchée au niveau réglementaire depuis longtemps. Pour rappel, selon la législation intergalactique actuelle (LI 475A-2), « toute espèce dont le niveau de conscience a été jugé insuffisant pour la résolution d’équations zoritiennes du huitième degré peut faire l’objet, de plein droit, d’élevage et d’abattage et sa viande de consommation ». L’énorme majorité des espèces de l’univers révélé sont en effet capables de résoudre ce genre d’équations sans difficulté, puisque celles-ci interviennent dans leur vie quotidienne de toute façon (dans des tâches triviales telles que l’admission au FRTU, la génération salypiaste des grioulettes sans dominance propre, la fripolation des attrements polyphresques…). Des tests avaient été effectués sur les humains vers 2067 et ils avait révélé un niveau d’intelligence médiocre ainsi qu’un niveau de conscience ridiculement bas, ce qui avait conduit à l’application de la LI 475A-2 à leur espèce.
L’humain avait donc été domestiqué et envoyé dans des fermes-usines respectant les exigences sanitaires et cosmo-écologiques de la législation intergalactique, en particulier l’espace (chaque humain doit avoir assez d’espace pour pouvoir « s’asseoir en tailleur », position utilisant leurs « jambes ») et la nourriture (le gavage d’humain pour la production de pancréas-gras a été progressivement régulé et est aujourd’hui encadré).
La nouvelle loi adoptée par le Congrès impose quelques règles permettant de rendre la condition des humains dans le processus de production de viande et de lait plus acceptable.
- Concernant la production de « testouilles », gourmandise fort appréciée sur Terpsichore : les humains doivent dorénavant être systématiquement endormis avant d’êtres castrés ;
- Concernant le lait d’humain : les enfants d’humains ne seront séparés de l’humaine qu’après trois jours (au lieu de deux maintenant) et l’abattoir devra être propre pour accueillir l’enfant d’humain. De plus, il sera nécessaire de mettre un bandeau sur les yeux de l’enfant d’humain avant de le transpercer et de lui trancher la tête.
- Concernant la production de viande humaine en général : les humains devront bénéficier, chaque quadrin, d’un cycle de trois heures terpsichoriennes de musique douce dans les fermes-usines afin de réguler leur rythme naturel, et ce pour attendrir leur viande, afin de faciliter la découpe. Par ailleurs, des visites d’inspection de représentants de la Chancellerie générale pour l’économie et l’alimentation auront lieu régulièrement, afin de s’assurer que les humains sont endormis au moins 50% du temps avant d’être démembrés.
Il est très probable que ces évolutions, saluées d’après notre enquête par 89% de la population (pour rappel, 98% de la population consomme de la viande d’humain au moins une fois par quadrin, ce qui explique leur envie légitime de savoir que l’humain est bien traité avant d’être tué pour les nourrir) aient été incitées par la diffusion récente, dans toute la Fédération, de projections holographiques 5D dévoilant l’envers du décor des abattoirs de viande d’humain.
Comme chacun le sait, un tel procédé avait été employé par le passé pour la « viande » de vrujni, et cela avait mené, à terme, à la fin de l’exploitation des vrujni. Le critère posé par la LI 475A-2 était ainsi passé de « 9ème degré » à « 8ème degré ». Les vrujni sont aujourd’hui, fort heureusement, libérés de cette honteuse oppression que nous tous, membres de la Fédération, leur avons fait subir pendant plusieurs millénaires draconiens. Ils ont ainsi rejoint la liste des espèces protégées par la Fédération, aux côtés des hulbouzt, des grzzzzzzzt et des baleines blanches (animal endogène à la Terre, comme l’humain). L’humain est-il en passe de rejoindre cette liste?
Probablement pas. La différence est ici, d’après le Sénacle des Intelligents, qu’un humain est incapable de résoudre une équation zoritienne, peu importe le nombre de degrés. Or, un critère aussi fiable et pertinent laisse peu de place au doute. La diffusion d’hologrammes 5D est-elle donc bien justifiée? D’autant plus que la viande d’humain est un secteur économiquement important, et remettre en cause cette industrie poserait des problèmes autrement plus graves sur le plan financier.
Ainsi, la protection des humains semble à l’heure actuelle être un « combat » somme toute bien sympathique, tant que celui-ci n’est pas poussé à l’extrême et que cela ne remet pas en cause des préoccupations plus graves, comme la souffrance des hytt, la sauvegarde des emplois dans l’industrie des testouilles ou tout simplement… le plaisir de l’assiette !
Merci, merci, merci, merci, merci (pour les non-humain.e.s).
Exactement le genre de dystopie spéciste qui devrait faire réagir, ou dont il faudrait faire un roman complet pour faire réagir.
As-tu pensé à écrire un roman dystopie spéciste et à le commercialiser ? L’antispécisme est la (dernière ?) cause progressiste qui n’est pas prise en compte par les partis et mouvements dits progressistes ; par ailleurs, en littérature, je n’ai pas entendu parler de dystopie spéciste, alors qu’il doit exister des dystopies pour toutes les autres causes progressistes…
Pour ma part, j’ai des concepts en tête, mais j’ai du mal à passer à l’acte. Commencer par des nouvelles comme celle-ci pourrait être un premier pas. Pour l’instant, là j’ai commencé « Zoopolis : Une théorie politique des animaux », le guide de l’utopie antispéciste de référence (l’inverse d’une dystopie, voire de notre dystopie réelle) ; j’en suis qu’à l’introduction à l’heure où j’écris ce commentaire. D’ailleurs partir d’un tel « guide » pour écrire une dystopie peut être une bonne idée : tu prends toutes les bonnes idées, et tu fais l’exact inverse, à base de manipulation génétique pour supprimer la douleur (et les émotions au passage), d’eugénisme, j’en passe et des meilleures.
Avec plaisir 😉
J’y pense, j’y pense… Le manque de temps fait que c’est difficile pour le moment, mais j’adore écrire et ce serait quelque chose qui me plairait énormément.
Connais-tu « Défaite des maîtres et des possesseurs », de Vincent Message ? Je le lis en ce moment (avec beaucoup de retard), et je pense que ça pourrait te plaire… Je n’en dis pas plus au cas où pour ne pas spoiler, mais si tu veux de la dystopie antispéciste, tu vas être servi !
J’ai lu Zoopolis, et c’est bourré de bonnes idées. Je me souviens ne pas être en accord avec tout, mais le livre crée le débat, et c’est le plus important.
Merci pour le conseil de lecture, et sans spoiler en plus. <3 J'ai tellement de livres à lire, notamment "La Ferme des animaux", qui peut aussi avoir une lecture antispéciste apparemment.
"Zoopolis", rien que l'intro, "l'humanité n'est pas prête". Et rien qu'en lisant l'intro, je me dis que ça nécessiterait de sortir des logiques purement marchandes (car les autres animaux ne créeraient plus de richesse, à moins d'être exploités), donc du capitalisme, d'où le fait que je considère ça comme utopique. J'attends de voir comment les deux auteurs proposent d'amener ça en place et les freins à cette mise en place, même si je crains que ce ne soit pas le sujet du livre. D'ailleurs, on a déjà du mal à démarginaliser l'anticapitalisme, capitalisme qui affecte de nombreux membres de notre propre espèce, alors cette théorie politique des animaux qui concerne nos relations et traitement des autres espèces… Ça crée donc le débat… mais parmi une minorité de gens éclairés à la convergence des luttes. Et tout ça sans parler des catastrophes écologiques, sociales, économiques, sanitaires, diplomatiques à (probablement) venir – et déjà commencées pour certain.e.s), qui risquent d'éclipser encore davantage cette réflexion antispéciste (le fameux "les humains d'abord !", entre autres phrases qui opposent les luttes entre elles). 🙁
Pour ma part, j'aurais largement le temps d'écrire un livre, si je m'y mettais vraiment. Mais commencer par des nouvelles, comme tu l'as fait, c'est un bon début. Je songe à une anthologie de nouvelles dystopiques, pas uniquement antispécistes (un thème par nouvelle pour commencer)… Ou un monde où il y aurait des tests (laboratoires grandeur nature) d'utopies, qui s'avèreraient toutes des dystopies, par exemple. Sinon, écrire une utopie anti-toute forme de discrimination, ça changerait pas mal, car on reproche souvent aux auteurs de dystopies de ne rien proposer, ou de trop rarement proposer. Il manque des utopies ("forme de récit ayant pour cadre un monde parfait, idyllique"), à part les essais des auteurs anticapitalistes, antispécistes, etc., que je considère comme des utopies au sens non littéraire et noble du terme ("plan d’une société ou d’un gouvernement idéal et parfait", avec une réserve pour l'emploi de parfait, qui sonne dystopique).
Tu as lu "1984", "Le Meilleur des mondes" et "La Zone du dehors" (mon top 3 dystopique pour le moment) ?