Des lobbies et des (petits) hommes

Cela ne vous aura probablement pas échappé si vous vous intéressez à la question, Interbev, l’association nationale inter-professionnelle du bétail et des viandes (je mets pas de majuscule, z’en méritent pas, na) vient dans les écoles primaires françaises pendant six mois pour expliquer aux enfants qu’il est bon de manger ses amis : les chevaux, les poules et les chiens.

Ha non pardon, pas les chiens. Les chiens sont épargnés en France parce qu’on n’est pas des barbares quand même.

Il est très probable que ces actions aient été décidées en guise de représailles, après les atroces attaques de méchants éco-terroristes aux cheveux longs, en première ligne L214, qui veulent nous bousiller notre équilibre alimentaire en nous faisant bouffer des graines de lin en veux-tu en voilà. Interbev, voulant défendre notre jeunesse, notre patrie, et son compte en banque, n’a pas hésité une seule seconde, et a pondu, telle une poule élevée en plein air respirant la bonne brise du soir en songeant au bonheur qu’elle a à être un volatile d’image d’Épinal, des « kits pédagogiques« .

Sachez également qu’Interbev a le cœur (de bœuf) sur la main car il met un point d’honneur à faire savoir que ces actions sont gratuites. Oui, vous avez bien lu. Interbev va venir faire sa publicité gratuitement, sans que l’on débourse un centime. Un peu à la manière des bénévoles des Restos du cœur, qui viennent gratuitement préparer à manger aux nécessiteux. Merci, donc, Interbev, de ne pas nous demander d’argent lorsque vous venez brainwasher nos gamins. Sincèrement, merci.

Quid alors de ces actions ?

Au programme, de réjouissantes « animations pédagogiques élevage et viande », expliquant en trois groupes de leçons les tenants et aboutissants de la production de viande. Je passe rapidement sur les deux derniers, à savoir :

  • les leçons « brochette de goût », lors desquelles un boucher viendra expliquer miam bacon et miam boudin (c’est le contenu exhaustif de la leçon, que j’ai pu obtenir en exclusivité) ;
  • les leçons « équilibre », qui seront pour vos marmots l’occasion de découvrir, et je cite le site d’Interbev,  « le rôle de l’alimentation et de l’activité physique dans la contribution à un bon état de santé général. Ce kit permet de découvrir les groupes d’aliments, de retenir les bienfaits de l’activité physique et de comprendre comment équilibrer son alimentation à partir de repères nutritionnels ». Tout ça sera animé par une diététicienne (sic), ce qui assurera l’impartialité la plus complète à cet atelier DISPENSÉ PAR L’ASSOCIATION INTER-PROFESSIONNELLE DU BÉTAIL ET DES VIANDES (j’aurais mis du Comic Sans si j’avais pu, pour attirer encore plus l’attention sur l’absurdité de la chose). On peut donc aussi s’attendre, d’ailleurs, à ce que les protéines végétales soient mises en avant. Hum.

Je passe un peu moins rapidement sur le premier groupe, les leçons « élevage ».

Cet atelier pédagogique propose aux enfants de découvrir l’élevage à travers une fresque représentant un paysage agricole. Les enfants sont amenés à apposer des éléments qui viendront compléter ou détailler ce paysage et permettront d’aborder les thématiques de l’environnement et du bien-être animal, notamment.

Ce programme vise à sensibiliser les élèves aux réalités de l’élevage en France.

Il existe une probabilité non nulle qu’Interbev propose comme support une photo issue des enquêtes de L214, dans laquelle les enfants devront trouver les sept différences entre le cadavre de droite et le cadavre de gauche, ou colorier les ecchymoses des animaux en rouge et la fange (traduire : la merde) dans laquelle ils vivent entassés comme des… bestiaux, en marron foncé. Après tout, la « réalité de l’élevage en France » comme ailleurs, c’est ça.

Néanmoins, j’oserai avancer une autre hypothèse et supposerai que les services de comm’ d’Interbev ne sont tenus ni par des crétins ni par des Edward Snowden en herbe, et que les supports et documents mis à disposition sont plutôt des pubs transformant la réalité pour que la propagande passe bien. Parce que montrer des veaux morts à des enfants, on fait mieux comme stratégie marketing. Il n’y a qu’à voir les images mises en avant par Interbev, les classiques moutons qui gambadent gaiement dans la prairie avec du vert, pleiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin de vert, parce que la nature c’est vaaaaaaaaaaaaaaaachement important et qu’on trucide, certes, mais dans le respect de la planète.

À dire vrai, tout le monde devrait être scandalisé par cette initiative d’Interbev. Je mets de côté le fait que ce soit une propagande spécisto-viandarde de bas étage ; même si l’on n’est pas sensibilisé à ces problématiques-ci, c’est choquant.

Peu importe que ce soit Interbev, à la limite. C’est un lobby qui vient faire sa pub dans les écoles primaires. En nous expliquant bien clairement qu’il le fait gracieusement. C’est comme si Coca venait proposer dans les collèges des tests à l’aveugle de dégustation pour discerner le Light, le Zéro ou le Lemon. Ou comme si Barilla venait dans les écoles primaires faire des ateliers « corde à sauter en spaghetti » ou « mon premier Halloween sanglant avec la sauce tomate Barilla® ». Ou comme si le groupe France-Tabac venait dans les maternelles faire… Bon vous avez compris.

Et ils ont du pognon. C’est le lobby de la viande. Évidemment qu’ils ont du pognon. Et un réseau développé. Et des gens compétents qui s’occupent de leur communication. C’est de la propagande pure et simple, et ça, ça concerne tout le monde. Les groupes d’intérêt dans les écoles, ce n’est pas nouveau, certes. Mais ce n’est pas pour ça que c’est bien.

Et oui, la cerise sur le gâteau avocat-chocolat, pour les animalisto-végéblabla, c’est qu’en plus c’est de la propagande dangereuse pour la santé des animaux non-humains. Et je ne suis pas fana fana de l’atelier éveil « fabrique toi-même ton foie gras pour Noël (canard et tube de 25 cm fournis) ».

En tout cas, actions et pétitions existent, et j’espère qu’elles auront un effet bœuf.

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