Je « n’aime » pas les animaux.
Enfin si, j’aime les animaux, je regarde plus souvent qu’à mon tour des chatons mignons jouer avec des cartons, et je trouve que les morses ça rock sa mère. Fallait un début accrocheur, c’est tout.
Mais ce n’est pas parce que j’aime les animaux que je suis vegan. Et « les animaux » ne sont pas mes amis, de la même manière que « les humains » ne sont pas mes amis. Certains humains le sont, certains animaux aussi (même s’ils s’en tapent). Je ressens aussi peu d’attachement, toutes choses égales par ailleurs, pour un chien ou une vache que pour un Anglais ou un Kirghize. Et ce qui m’empêche de tuer des Japonais, ce n’est pas le fait que j’aime le Japon.
Je ne mange pas mes amis, mais je ne mange pas non plus mes ennemis. Je suis au régime en plus.
Non, ce ne sont pas les bons sentiments ou un amour universel qui commandent mon mode de vie, mes principes et mes idées sur l’exploitation des animaux. C’est la raison, la logique, l’éthique. Telles que je les comprends, en tout cas. Ce qui fait que je ne mange pas d’animaux, c’est exactement les mêmes raisons qui font que je ne mange pas de sage-femme ou de clerc de notaire.
Je ne pense pas me laisser dominer par mes passions lorsque je considère qu’il est immoral de tuer un animal pour le manger, en faire un tapis ou un cardigan, de la même manière que je ne pense pas laisser parler mon cœur lorsque je refuse que l’État tue des êtres humains en les envoyant au front ou à l’échafaud. Ce n’est pas de la gentillesse, ce n’est pas avoir le cœur sur la main, c’est raisonner en fonction de principes éthiques sous-jacents (qu’ils soient bons ou pas, c’est une autre question), dont celui-ci : tuer un être sensible = caca.
Sans bonne raison en tout cas, parce que les gens qui bloquent l’escalator quand on est en retard pour son cours de gym suédoise… ARRHHH.
Pour être franc, mon éthique se trouve, et cela sera peut-être toujours le cas, le cul entre deux chaises. Non pas que les éthiques aient des culs, soit dit en passant. C’est une image. Mais non, pas une image pornographique.
J’ai longtemps vécu, comme je pense une bonne partie de la population élevée au christiano-républicanisme, dans la certitude que vivre éthiquement, c’était vivre sans faire de mal à autrui. « Do no harm« , « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »… Depuis quelques années, j’ai un peu viré de bord, et je suis passé d’une éthique « passive » à une éthique « active » : vivre éthiquement, c’est peut-être plus que ne pas faire de mal. Peut-être est-ce faire le bien. Et c’est parfois très différent.
Pourquoi je vous embête avec ça ? Parce que, quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, tuer un être sensible = caca.
En ces termes, cela est sans doute trop simpliste : quid d’une situation où l’on doit tuer une personne pour en sauver deux ? Quid de la pertinence de tuer Adolf Hitler ? On trouvera toujours des problématiques qui compliquent la chose. D’où la difficulté de poser un principe éthique clair et immuable.
Mais je ne vois AUCUNE justification valable aux conditions dans lesquelles nous traitons les animaux non-humains. Aucun scénario où cette situation pourrait être justifiée. On n’est pas dans une logique utilitariste qui pourrait nécessiter un petit « sacrifice » pour créer un plus grand bien-être collectif. On n’est pas non plus dans un cas marginal imprécis et théorique, coincé sur une île déserte sans aucun fruit ou légume et de la viande à foison. Et 99,99999999 % des œufs qu’on trouve dans le commerce ne viennent pas de votre jardin.
On est dans une exploitation insupportable et injustifiable, pour toute personne pensant qu’un individu doit être traité correctement. Même en considérant – ce qui est difficile à considérer mais passons – qu’il existe des élevages « humains », l’énorme majorité de l’exploitation animale va à l’encontre du plus fondamental des principes éthiques partagé par, j’ose espérer, la plupart des membres de la société : ne pas faire de mal. Et que les victimes soient humaines ou pas, du moment qu’elles souffrent et ressentent des choses, on s’en fout.
Je raisonne – ou j’essaye de raisonner – éthiquement, philosophiquement, formellement, et certainement pas en me laissant porter par mes passions ou un quelconque « amour des animaux » que veulent si souvent me coller mes interlocuteurs. C’est pas parce que je collectionne les peluches et que je fais des papouilles à mon chat que je suis un tendre, non mais.
Jamais on ne m’a dit que « j’aimais » les Syriens parce que je m’oppose à la guerre en Syrie, ou que « j’aimais » les gays parce que je milite – à mon petit niveau – pour l’égalité de leurs droits. Alors pourquoi « aimerais-je » les animaux ? J’aime la justice, comme tout le monde je pense, et j’essaye de vivre éthiquement et justement. Bon, j’ai pas de peluche de Syrien, ça doit être pour ça.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : il n’y a rien de mal à aimer les animaux. Je pense même que beaucoup de gens sont « venus au véganisme » (ça fait très religion dit comme ça) parce qu’ils aimaient les animaux. Et tant mieux ! Mille milliards de fois tant mieux ! Tant mieux aussi si de plus en plus de gens arrêtent la viande grâce aux photos mignonnes de veaux et d’agneaux. tout est bon à prendre. Mais ceux qui aiment les animaux n’ont pas le monopole de leur protection ou de leur libération. C’est un sujet d’intérêt public, comme les autres formes d’oppression qui perdurent et pour lesquelles personne ne douterait de la nécessité de chacun de s’impliquer, pas une passion.
Et la bonne nouvelle, c’est que je pense que ça commence à être pris au sérieux par le grand public depuis quelques années. Même des hommes politiques ou des célébrités culinaires parlent des conditions d’exploitation des animaux ou de végétarisme sans tabou, sans avoir peur du ridicule ; il y a encore quelques années, Brigitte Bardot et ses bébés phoques étaient la risée des médias. Et pas QUE parce qu’elle est facho.
Encore une fois, et je ne le dirai jamais assez, en France, on doit beaucoup à L214 et ses images d’abattoirs. Ce genre de choses a beaucoup fait avancer le débat, et je dois avouer que je ne l’aurais jamais cru. Je reste convaincu que la libération animale n’est pas pour demain (heureusement ma bonne dame, que ferait-on des animaux qui erreraient alors sans but dans les rues ?) mais elle est peut-être pour plus tôt que je ne le crois. Parce que cela devient un sujet d’intérêt public, pris au sérieux par beaucoup.
Bientôt, bientôt…
Et comme disait Nostradamus :
Les bestes de leurs cages s’en iront,
Quand une crapule à la moumoute blonde
Au-delà des mers divisera l’opinion ;
M’en tamponne, je serai plus de ce monde.
– Nostradamus, Centurie X, Quatrain 42, 1561 –
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