Trois histoires végé-friendly de feignasse #2

Vous connaissez ces sitcoms et ces dessins animés qui sont atteints, par moment, de grosse flemme et qui, au lieu de vous proposer du contenu inédit, vous préparent un épisode best of avec des trucs que vous avez déjà vus dans les autres épisodes ? C’est ignoble, hein ? Irrespectueux ? Absolument impardonnable ? Complètement dégueulasse ? Hautement répréhensible ? Proprement honteux ? Parfaitement minable ?

Que penser des blogs qui font pareil, mais qui en plus ont le culot de recopier MOT POUR MOT le début du chapô du best of précédent ? Inique.

Comme l’année dernière, pour la nouvelle année, je vous propose de retrouver trois des histoires que j’ai publiées dans le magazine de l’Association végétarienne de France, Alternatives végétariennes. J’ai été moins actif en 2018 qu’en 2017 sur mon blog, mais je vous avoue que j’ai tout un tas de choses à faire qui me prennent du temps : travail, activisme, travail de rédaction ici et là…

Je suis toujours très chanceux d’avoir des lecteurs fidèles et bienveillants qui comprennent que, parfois, le rythme est difficile à tenir. De toute façon, soyons honnêtes, les animaux ne vont pas pâtir de mon manque de réactivité.

Enjoy. En 2019 mots en tout (si, comptez), parce que je fais toujours pas les choses à moitié pour la nouvelle année, moi.


La vérité vraie sur les dinosaures

Il y a 66 millions d’années, de vastes dépôts crayeux envahissaient les mers, les océans étaient blindés de calcium, le supercontinent Pangée finissait de se scinder, et la faune était, de manière générale, beaucoup plus stressée qu’au Jurassique : c’était le Crétacé.

À cette époque vivaient deux types de dinosaures : les herbivores et les carnivores. Les herbivores étaient souvent tournés en ridicule par les carnivores, qui se prenaient pour les rois de la Terre. De fait, ils l’étaient un peu, puisqu’une soixantaine de dents de 20 cm, ça en imposait plus qu’une gueule mastiquant nonchalamment du feuillage. Mais certains herbivores ne l’entendaient pas de cette oreille, et commencèrent à militer pour que les carnivores changent leur alimentation pour un régime plus éthique – et surtout arrêtent de les dévorer –, plus sain, et plus respectueux de la planète. Il commençait en effet à faire très chaud dans ce Mésozoïque finissant.

Mais comment faire ? Les avis divergèrent. Puis on tenta un peu de tout. Partout, les herbivores se mirent à écrire « Go Herbi », en espérant que les choses changent. Ils défilèrent dans les plaines en tenant des pancartes dans leur gueule (ce qui gênait quelque peu la déclamation des slogans militants). Ils tentèrent de faire du grotte-à-grotte pour expliquer qu’un diplodocus ou un iguanodon n’étaient pas, au fond, si différents d’un cœlophysis ou d’un tyrannosaure, qu’ils venaient tous du même œuf ; mais ils se faisaient bien souvent manger avant de pouvoir finir leur tirade.

Et puis, un jour, les herbivores eurent une idée géniale. Ils rédigèrent – l’écriture qui marquerait le début de l’histoire est un mythe – un livre de cuisine végétale, avec toutes les recettes dont ils se régalaient au quotidien : feuilles de palmier, feuilles de platane, feuilles de séquoia, feuilles de baobab… Beaucoup de feuilles, oui. Mais aussi champignons à l’écorce, bambou à l’eau de mer ou bananes à la figue. Le livre faisait 42 tablettes de pierre. Ils l’envoyèrent, avec un petit guide de 130 kilos de conseils nutritionnels, aux carnivores.

Grâce à un marketing et à une communication au poil, ce fut un succès foudroyant : les carnivores se mirent à cuisiner des plats végétaux, et inventèrent même leurs propres recettes, dont des herbi-burgers, à base de lianes, d’herbe et d’écorce. Ils élaborèrent de nouveaux livres, qu’ils éditèrent à des centaines d’exemplaires – l’imprimerie inventée par Gutenberg : un mythe aussi. Des ateliers de cuisine végétale se mirent en place, réunissant les herbivores et les carnivores, qui se définissaient dorénavant très souvent comme flexivores, semi-herbi ou pesco-insecto-brachiosauro-herbivores.

Les réseaux sociaux tels que Facerock (on écrivait ce que l’on pensait sur des murs de pierre) ou Instagroum (on demandait à Groum, le dinosaure le plus doué du troupeau de dessiner ce qui nous passait par la tête) se remplirent de choses en rapport avec l’herbivorisme, des mots, des images de plats… L’herbivorisme était devenu à la mode, et chacun voulait se régaler de bons petits plats végétaux.

Il fallait bien l’admettre, l’éthique et l’écologie n’avaient pas fonctionné : c’était bien le goût et la diététique qui avaient convaincu les carnivores de changer leur mode d’alimentation. Aux quatre coins de la Terre, l’herbivorisme devint populaire. Les carnivores ne s’étaient jamais sentis aussi bien sous leurs écailles. Bien vite, la totalité de la population saurienne de la Terre devint herbivore, et chacun put vivre en harmonie avec la nature et avec ses congénères. Durant deux générations, le respect, l’amour et la tolérance régnèrent sur la Terre.

Puis tous les dinosaures disparurent à cause d’une carence en vitamine B12.


Une purge détox pour la planète

2051. La fin de la Grande Purge, le début d’une nouvelle ère. Personne n’avait voulu de ces guerres, mais la purge était la seule solution pour sauver l’humanité. Du moins, c’est ce qu’ils nous avaient dit. « Des sacrifices sont parfois nécessaires sur le chemin de la grandeur », avait déclaré Kim Kardashian, première femme élue présidente des États-Unis, en 2043. Cette phrase, je me la suis répétée tant et tant de fois, alors que je me cachais au milieu du champ de bataille, au milieu des tirs de fusils laser et des explosions de grenades à plasma.

En 2040, le monde entier avait enfin pris conscience du danger imminent du réchauffement climatique et compris que l’action des hommes sur leur environnement pouvait les conduire à leur perte. Les transports s’étaient améliorés depuis les années 30, et ne généraient plus autant de pollution. Les scientifiques nous disaient que c’était l’élevage qui polluait le plus, que les vaches produisaient du méthane, ou un truc de ce genre. Et du coup, qu’il fallait faire quelque chose avec ça.

Des illuminés, des extrémistes nous disaient qu’il fallait arrêter de manger de la viande. Que l’élevage reculerait, que les émissions de gaz aussi, et que ce serait bon pour la Terre. Quelle idée… Non, en 2042, on trouva une solution bien plus modérée et bien plus facile à mettre en place : on décida de tuer la moitié des humains de la planète. Ainsi, les hommes pollueraient moins, parce que la moitié n’existerait plus de toute façon. Ça semblait quand même plus logique que leurs histoires de végétarisme.

Un référendum mondial fut tout de même organisé, pour la forme : on demanda aux gens s’ils préféraient la solution de la purge, ou celle de l’arrêt de la consommation de viande. Le constat fut sans appel : 78% préféraient la purge (dont 100% qui indiquèrent cependant sur le crypto-bulletin « mais pas moi svp »). Des expertises médicales confirmèrent la pertinence de cette solution : l’homme avait des canines, et ne pouvait décemment pas se passer de viande. CQFD.

Les gouvernements se mirent d’accord pour diviser la population en « sauvés » et en « sacrifiés ». La Purge – à laquelle on avait rajouté une majuscule pour faire bonne mesure – aurait lieu dès janvier 2043, et des plans trisannuels furent adoptés pour en prévoir les modalités. Kardashian, Merkel, Cheminade, Kim Jong-trois, tous les dirigeants de la planète décidèrent des critères secrets à appliquer pour sélectionner les heureux élus. Les sacrifiés n’étaient pas d’accord. Il ne comprenaient pas que c’était le seul, littéralement le seul moyen réaliste pour sauver l’humanité. Honnêtement, personne ne pouvait les en blâmer ; mais il fallait ce qu’il fallait. Et puis, après tout, il y avait eu un processus démocratique derrière.

Les sacrifiés se révoltèrent, des guerres éclatèrent, alors même que, sur le papier, tout devait se faire dans le calme le plus absolu. Avec méthode. Mais non : tout le monde tuait tout le monde, dans le mépris le plus total des listes officielles. Bien vite, la population mondiale diminua de 20%. Et enfin, en 2051, après que la planète eut perdu 93% de sa population, un traité de paix fut signé à Nogent-le-Rotrou, ville la plus peuplée et capitale du monde nouveau.

J’ai survécu. Peut-être est-ce grâce à mes talents de combattant (j’ai toujours eu les plus grosses canines de mon village), ou peut-être qu’une bonne étoile veillait sur moi. Mais aujourd’hui, je n’ai qu’une seule peur, et j’en fais des cauchemars : les vaches sont plus nombreuses que nous. J’ai la trouille qu’elles viennent me bouffer.


Aux grands êtres sensibles la patrie reconnaissante

Peu de gens le savent, mais à côté des tombeaux de Voltaire et de Rousseau, au Panthéon, se trouve un personnage fantasque, qui gagnerait à être connu. Ce personnage, c’est Paul Verrineaud, né en 1903 à Porto-Novo (Dahomey) et mort en 1947 à Paris. Un grand amoureux des Lettres et des Sciences. Et, surtout, un hippopotame.

Paul Verrineaud surprit la société de son époque dès sa naissance, parce qu’il se mit tout de suite à parler. Ce qui était fort étonnant, étant donné son jeune âge et son espèce. Les médecins qui se penchèrent sur son cas ne trouvèrent rien de mieux à dire que « je suis baba », lorsqu’il a été question d’expliquer l’existence même d’un phénomène comme Paul Verrineaud.

Mais ce fut pendant ses études à la faculté des Sciences humaines – quelle ironie –  du Dahomey (ancien Bénin) que l’esprit brillant de Paul Verrineaud put contribuer de manière admirable à la science. La France et son empire colonial étaient encore convaincus à l’époque que l’alimentation des humains était irrémédiablement omnivore. Or, Paul Verrineaud, qui, lui, était herbivore, fut le premier à se poser la question de la pertinence d’un tel régime alimentaire pour l’espèce humaine. Mammifère de Lettres, il consacra ainsi sa thèse universitaire au sujet : « hippopotamanthropomorphophysiophagie comparée », inventant du même coup le mot le plus long de la langue française. Et il conclut que non, les hommes ne pouvaient guère manger 40 kg de végétaux chaque nuit comme lui, mais oui, ils pouvaient très bien ne se nourrir que de végétaux et rester en parfaite santé.

Les plus grands journaux médicaux publièrent ces résultats, mais en ce début de XXe siècle, la société française était pétrie de préjugés. Et le fait que Paul Verrineaud soit un hippopotame – un Africain, qui plus est – n’arrangeait rien. Se posa toutefois la question de la mise à jour des manuels et traités de nutrition. George Leboucher, ministre de la Santé et de la Viande rouge, et Dominique Leblanc de Poulet, ministre de l’Agriculture et du Ris de veau, réunirent un conclave où ils invitèrent les parties prenantes les plus en vue pour parler de la question : éleveurs, charcutiers et chasseurs.

Les réticences originelles s’évanouirent vite, lorsque Paul Verrineaud prit la parole pour expliquer ses découvertes, avec une verve impressionnante pour un cétartiodactyle. Il fut décidé d’inclure dans la littérature médicale le « végétarisme » – Paul Verrineaud avait proposé sans succès un terme de quarante-deux lettres – comme régime alimentaire parfaitement viable. On prévit aussi que les enseignements de médecine prissent acte de cette évolution afin que tous les médecins maîtrisassent les tenants et aboutissants du végétarisme. Et l’on supprima l’imparfait du subjonctif parce que personne ne savait vraiment comme l’utiliser de toute façon.

Ces réformes n’eurent pas le temps d’être mises en œuvre. En 1939, la Seconde Guerre Mondiale (que l’on n’avait à dessein pas baptisée « Deuxième », afin qu’il n’y en ait jamais de Troisième) éclata. Paul Verrineaud fut mobilisé dans la Marine, et dût abandonner ses recherches. Considérablement affaibli par un régime alimentaire à base de corned-beef, l’herbivore qui avait légitimé le végétarisme ne se remit jamais vraiment, même après la Libération. Paul Verrineaud mourut dans son lit – de rivière – le 8 avril 1947. Quant aux travaux qu’il avait initiés, ils ne furent jamais repris. C’est Jacques Chirac qui transféra en 1998 ses cendres au Panthéon, « pour la diversité », mais sans vraiment savoir qui il était.

Que vive la paix, et que vive Paul Verrineaud.

8 réflexions sur “Trois histoires végé-friendly de feignasse #2”

  1. C’est un scandale! Met un warning au début de cet article avant que quelqu’un de fragile meurt de rire. D’autant que beaucoup de tes lecteurs sont carencés, et qu’un fou rire consomme beaucoup de calories, tu veux génocider les véganes ou bien ?

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