Débunkage #5 : le totalitarisme des gazelles cis blanches qui ont tous les droits

Pour ceux que ça intéresse, parmi les « intellectuels » (diantre que je hais ce mot et ce concept) que je suis pas mal, Gérald Bronner est en bonne place. Ses travaux portent notamment sur les croyances collectives, « pourquoi » les gens croient ce qu’ils croient ; et ça tombe bien, c’est l’une de mes passions (avec le karaoké russe). Je ne saurais trop vous conseiller son excellent ouvrage, La démocratie des crédules, qui traite des théories du complot, des fake news, de l’adhésion du grand public aux théories fumeuses mais séduisantes. Cette vidéo faite avec l’équipe de la Tronche en biais aussi est à voir (on comprend déjà qu’il interprète mal l’antispécisme, mais le reste est passionnant). Bref, je l’apprécie beaucoup.

Et accessoirement, c’est un zététicien, ce qui rejoint pas mal tout ça. Dans le contexte qui nous intéresse, être zététicien, c’est pratiquer le scepticisme scientifique, c’est comprendre nos biais cognitifs, c’est essayer de raisonner avec logique, sans tomber dans le piège des sophismes et des paralogismes. Je rappelle qu’un sophisme est un raisonnement qui paraît rigoureux mais qui est erroné et qui a pour but de tromper (un raisonnement fallacieux, donc). Un paralogisme, c’est pareil, mais le locuteur est de bonne foi (un raisonnement erroné mais pas fallacieux, donc).

Mais les cordonniers sont les plus mal chaussés, comme on dit. Et pierre qui roule n’amasse pas mousse. Et tous les champignons sont comestibles, mais certains une seule fois. Bref.

Même lorsque l’on consacre sa carrière à tenter de raisonner de façon rigoureuse, on peut tomber dans des pièges grossiers lorsque l’on sort de sa zone de confort, ou lorsque, disons, c’est tout son mode de vie qui risque d’être chamboulé.

Gérald Bronner a commis un court texte intitulé « Viande, pourquoi tant de haine ? » Dans le Point du 12 juillet dernier. Malheureusement, comme souvent lorsqu’il est question de critiquer l’antispécisme, le véganisme ou l’animalisme, on retrouve des arguments qui ne sont pas très solides ainsi que des raccourcis regrettables.

Petite précision : nous utiliserons ici, limités que nous sommes en la matière par le lexique, le terme « véganisme » pour parler de l’idéologie selon laquelle, pour aller vite, nous devrions arrêter de manger, et plus largement, de consommer, les animaux et les produits issus de leur exploitation. Oui, c’est très imparfait, mais ça fera l’affaire. Les différences entre véganisme, antispécisme, animalisme, c’est très intéressant sur le plan théorique, mais de manière pragmatique, opérationnelle, on veut tous que cesse la consommation de cochons et des poulets, quoi.

Le texte commence ainsi :

« Début juillet, une boucherie a été vandalisée dans les Yvelines par des militants prétendant nous interdire de manger de la viande ».

C’est étrangement formulé, mais soit. Je n’ai pas grand-chose à dire sur le fond : oui, le véganisme est une démarche politique, sociétale, et nous, militants de tous poils, souhaitons à terme – le plus vite possible – que l’on cesse de tuer les animaux pour leur viande (ou pour quoi que ce soit). C’est étrangement formulé, dis-je, parce qu’à lire ça, on a l’impression que notre objectif ultime, c’est d’empêcher les gens de manger ce qu’ils veulent. C’est tout de même un poil plus compliqué, et certainement pas ce qui nous motive, non. C’est ce qu’il y a derrière qui nous motive, et ça passe par une évolution de notre modèle alimentaire, certes. Mais bon, passons.

« Certains éléments se radicalisent chez les végans, témoin ce tweet se réjouissant de la mort [d’un boucher] abattu par [un] terroriste ».

Oui, il y a des cons partout, il y a des fous partout, il y a des gens qui font fausse route partout. J’en ai lu, des commentaires nauséabonds de la part de pêcheurs, des appels au viol et au meurtre visant une responsable politique qui avait eu l’audace de proposer l’interdiction de la pêche dans une grande capitale française (je n’en dirai pas plus). Pourtant, je n’ai lu nulle part que « certains pêcheurs se radicalisaient ».

Il paraît aussi que certains collaborateurs de Présidents de la République se radicalisent, attention. Ou certains amateurs de football.

Pour que les choses soient bien claires : je ne cautionne absolument pas ces divers actes, qu’il s’agisse des destructions de vitrines ou des posts se réjouissant de la mort d’un boucher. Je trouve ça non seulement contre-productif, mais même pas justifié dans le contexte sociétal actuel. Mais je n’apprécie pas non plus que l’on mette ces phénomènes marginaux en avant, comme si c’était représentatif, comme s’il y avait un problème dans le message derrière, dans la cause défendue. Ce n’est heureusement pas ce que fait Gérald Bronner. Mais je ne suis pas sûr que tous ses lecteurs feront la part des choses, et c’est un peu usant de lire tout le temps les mêmes histoires, comme un automatisme.

« L’antispécisme dont se réclament ces violents idéologues fut popularisé par le philosophe australien Peter Singer, connu notamment pour la publication de son livre La libération animale. Pour lui, les animaux doivent être considérés comme moralement égaux aux êtres humains. […] Cependant, [la science] a montré qu’il existait des différences fondamentales entre leur système nerveux et le nôtre, ce qui rend absurde les prétentions de cet égalitarisme du vivant. Nous sommes des animaux, mais pas comme les autres ».

À mon humble avis, c’est ici que le bât commence à blesser. Ce que disent les antispécistes aujourd’hui (parce que, de toute façon, on en a parcouru du chemin depuis La libération animale), c’est que l’espèce ne doit pas être en soi un critère pertinent pour décider qui est digne ou pas de considération morale. Il faut faire appel à d’autres critères : possibilité de ressentir la souffrance ou niveau de sentience en particulier. Cela n’a rien d’un « égalitarisme du vivant » : il s’agit simplement d’utiliser des critères pertinents pour décider du traitement réservé aux uns et aux autres. Donc oui, bien sûr, le système nerveux est un indice capital pour savoir qui est capable de souffrir ou pas, et donc pour décider qui ou quoi on peut ou non dépiauter, mâchouiller, ébouillanter. Ce n’est pas parce qu’un individu non humain souffre de manière « moins complexe » (et encore…) qu’un être humain que sa souffrance ne doit pas être prise en compte. À partir du moment où un individu est capable de souffrir, il me paraît raisonnable de se poser des questions quant à la légitimité que l’on aurait à le faire souffrir. Écarter la question en disant que nous ne sommes pas des animaux comme les autres me paraît peu rigoureux. Tous les animaux sont « des animaux, mais pas comme les autres ». Tous les animaux sont différents, ce qui n’implique pas nécessairement de hiérarchie. La plupart des escargots sont hermaphrodites, pas les marmottes ou Michel Sardou. Les sternes savent voler, pas les rhinocéros ou les varans. Ce qui fait notre spécificité, en tant qu’espèce, n’a aucun rapport avec la souffrance : c’est peut-être notre capacité à transformer « la nature », ou la complexité de notre langage, que sais-je.

Mais le critère pertinent pour savoir qui on peut castrer à vif ou décapiter, c’est pas dans le langage articulé ou les outils de l’homo habilis qu’on le trouvera. C’est précisément dans le système nerveux, notamment.

Donc oui, un « égalitarisme du vivant » serait absurde. Mais ce n’est pas ça, l’antispécisme. Donc, une fois de plus, nous avons affaire à un homme de paille (certainement involontaire, comme souvent) : « l’antispécisme c’est l’égalitarisme, mais la science a montré des différences entre systèmes nerveux, donc les espèces sont différentes, donc l’antispécisme ne tient pas ». Non.

Je ne suis pas né de la dernière pluie : je sais que certains (et même dans le cadre de mouvements politiques) revendiquent un peu ce genre « d’égalitarisme du vivant » qui, selon moi, ne tient pas. Mais d’une part on peut comprendre l’antispécisme sans parler d’égalitarisme, et d’autre part le fait est qu’un cochon souffre, qu’il est conscient de souffrir, qu’il a un intérêt à vivre, qu’il est capable de ressentir des émotions comme le plaisir ou la peur, et que nous n’avons pas besoin de manger de la viande pour être en parfaite santé. Alors même si l’on est imperméable à l’antispécisme, on peut au moins comprendre que manger de la viande POSE UN PROBLÈME. Si l’on veut mettre l’humain sur un piédestal, soit, mais en aucun cas cela ne justifie le fait de provoquer de la souffrance inutile. Certains humains sont plus forts, plus intelligents, plus rapides que d’autres. Il est – heureusement – admis que cela est sans incidence, en principe, sur qui vit ou qui meurt.

« Et l’on peut se demander d’ailleurs jusqu’où ira cette passion égalitariste, car certains en réclament davantage, comme [ce neurobiologiste qui] exige des droits pour les plantes, cette fois. Les bûcherons devront-ils craindre bientôt que quelques fanatiques ne cherchent à s’en prendre à eux ? »

Tiens, ne serait-ce pas un paralogisme de la pente glissante ?

Bon, on va dire que c’est juste une blague. Mais si vous aimez les pentes glissantes

« Anthropomorphisme. Le plus inquiétant avec l’antispécisme est qu’il suit le chemin du totalitarisme. En effet, ses membres les plus radicaux commencent à utiliser la violence dans l’espace public pour faire de valeurs concurrentes des revendications contradictoires. Ainsi, il n’y a pas de gêne à ne pas manger de viande si on laisse les autres déguster une côte de bœuf lorsque l’envie leur en prend. Les modes d’alimentation sont concurrents mais non contradictoires dans ce cas. »

Problème.

En substance, cela revient à ressortir l’argument de la liberté individuelle, du libre-choix. Je t’empêche pas de ne pas manger de viande, mais m’empêche pas de manger ma viande, gros. Le véganisme devrait respecter les autres idéologies, et ne serait acceptable que lorsqu’il ne tente pas de s’imposer, sinon ça devient « totalitaire ». On est tout à fait dans la ligne de ce que déclarait le cuisinier Jean-François Piège en juin quand il parlait des véganes comme d’un mouvement « dictatif » (sic). Ou dans la ligne de ce que TOUT LE MONDE nous sort régulièrement.

Bon.

Pourquoi est-ce qu’on est véganes ? Je suis gentil, je vous donne plusieurs possibilités :

  1. Parce qu’on n’aime pas le goût de la viande ?
  2. Parce qu’on adore les légumes et les légumineuses ?
  3. Parce que derrière la viande, le lait ou les œufs, il y a un système qui exploite des êtres sensibles, qui les fait souffrir, que le principal responsable de ça c’est notre consommation, que, parallèlement, un levier important pour arrêter cela c’est notre non-consommation , et qu’une société juste est une société qui ne fait plus subir ça aux milliards de milliards d’animaux victimes de ce système ?

Bonne réponse. Vous gagnez un Quid. Mon dieu que je suis vieux.

Sortir cet argument de la liberté, c’est soit ne rien avoir compris à nos motivations, soit ne pas vouloir comprendre, soit faire semblant de ne pas comprendre. Bien sûr que nous souhaitons que tout le monde arrête de manger de la viande. Pas pour faire chier, pas parce que nous voulons « imposer notre mode de vie », ou parce que nous sommes jaloux de devoir nous contenter de salades dans une bonne partie des resto de France et de Navarre. Parce que c’est une question de justice. Parce que les animaux souffrent de cet état de fait. Ce n’est en rien un « mode de vie » qui vaut bien les autres. Oui, toutes choses égales par ailleurs, c’est mieux de ne pas manger d’animaux, ou en tout cas c’est ce que l’on défend (ce qui ne fait pas des véganes des gens « mieux », hein, je parle des actes, pas des personnes), et c’est justement ce que l’on essaye d’expliquer avec plus ou moins de succès aux gens.

Après, on peut discuter du reste : des méthodes pour arriver à régler ce problème (la violence est-elle légitime ? Faut-il que cela passe par la loi, par la communication ?), ou même de l’existence d’un problème. Pourquoi pas. Mais l’argument de la liberté n’est pas, en soi, un argument qui marche de manière autonome. La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. psycho-test de l’été : tiquez-vous sur les propositions suivantes ?

  • Je respecte les gens qui ne jettent pas de plastique dans l’océan, mais respectez mon droit de jeter du plastique dans l’océan si j’en ai envie. C’est ma liberté.
  • Je respecte les gens qui ne frappent pas les passants dans la rue, mais respectez mon droit de frapper les passants dans la rue si j’en ai envie. C’est ma liberté.
  • Je respecte les gens qui ne discriminent pas à l’embauche en fonction du sexe ou de l’origine, mais respectez mon droit de discriminer à l’embauche en fonction du sexe ou de l’origine si j’en ai envie. C’est ma liberté.

Et non, je ne compare pas ici sur le fond spécisme, sexiste et racisme, qui sont des phénomènes sociaux différents, dans leurs causes, leurs conséquences, leurs victimes, leur contexte. Ce sont simplement des exemples pour faire comprendre que la forme de l’argumentation est la même : toutes les pratiques ne se valent pas, il existe des actions plus éthiques que d’autres.

Va-t-on accuser une association qui lutte contre le racisme, qui a donc des revendications « contradictoires » des individus ou organisations qui cultivent le racisme, de « suivre le chemin du totalitarisme » ?

« Cet antispécisme réclame des droits pour les animaux sans voir que leurs capacités cognitives ne sauraient leur permettre de s’acquitter des devoirs qu’impliquent les droits qu’ils obtiendraient. »

Depuis quand faut-il nécessairement avoir des devoirs pour avoir des droits ? Attention, minute juridique chiante : certains droits sont effectivement liés à des devoirs. Avoir le droit de conduire une voiture implique que je respecte le code de la route et diverses règles (alcoolémie au volant, etc.). Avoir le droit de recevoir un salaire suppose que je vienne travailler. Soit. Je reconnais que ni mon chat, ni un rat-taupe nu, ni un panda roux ne pourraient respecter le code de la route ou la discipline du service de compta. Mon chat est une feignasse.

Mais d’une part, le droit est un ensemble de conventions sociales humaines, et pas un ordre naturel évident qui relèverait de la physique, de l’automatisme. Qui fait de l’anthropomorphisme, là ? D’autre part, même dans le cadre arbitraire de ce droit construit par les humains, il y a des droits inaliénables que nous nous sommes reconnus sans aucune nécessité de « devoir » quoi que ce soit. Il suffit d’aller jeter un œil à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France, ou à la Déclaration universelle des droits de l’homme onusienne. Entre autres. Oui, j’ai des droits, et vous aussi, quoi que vous fassiez. Et notamment celui de ne pas être bouffé par les autres. Et ça, ça n’a pas non plus de rapport avec les « capacités cognitives ». Même les membres de l’espèce humaine qui ne bénéficient pas de capacités cognitives aussi élevées que la moyenne, même les personnes atteintes d’un handicap mental sévère, même celles qui sont alors ««««««« moins intelligentes »»»»»»» que certains animaux (je suis à court de guillemets), tout le monde dispose de ces droits universels et inaliénables. Parce qu’on estime qu’accéder à l’université peut nécessiter certaines capacités cognitives et supposer le respect de certaines règles, alors que le droit de ne pas se faire bouffer, non.

Et bizarrement, ce déséquilibre – des droits sans devoirs assortis – ne gêne alors personne. Et heureusement.

Je vous passe la fin, qui vise précisément le mouvement RWAS (Reducing Wild Animal Suffering – Réduction de la souffrance des animaux sauvages), parce que c’est un peu plus ciblé, justement. Si vous avez raté un épisode, c’est , ou . Et , mais je n’ai pas encore pris le temps de lire (il faut). En somme, Gérald Bronner semble déplorer que les RWAS voient les gazelles comme des victimes des lions, et conclut ainsi :

« Ce vocabulaire et cette conception du monde du vivant sont perclus d’anthropomorphisme, ils marquent une étape supplémentaire dans la conception du monde fondée sur le victimisme. Cette idéologie de la détection des nouvelles victimes ne se comprend bien que par la délectation qu’il y a à dénoncer les bourreaux. Comme l’actualité le montre, cette jubilation peut facilement se transformer en totalitarisme. Dans ces conditions, il est tentant de chercher à être une victime plutôt qu’un bourreau qui, c’est le point commun de toutes ces idéologies victimistes, prend plutôt la figure du mâle blanc. De là, il n’est peut-être pas si étonnant de voir des individus sur des plateaux de télévision revendiquer contre l’évidence qu’ils ne sont ni hommes ni blancs« .

Je vous avoue que là, j’ai beaucoup de mal à comprendre le lien avec le schmilblick (ce mot est reconnu par mon correcteur orthographique, c’est prodigieux). Soit, je comprends l’idée de délectation à dénoncer les bourreaux, ou de manière générale à mettre en avant les injustices et leurs responsables – présumés et si possibles nommables. Je pense effectivement que c’est un phénomène bien réel : il nous faut des coupables, il nous faut des méchants, en partie peut-être pour s’en distinguer clairement : nous sommes les gentils, ou en tout cas pas aussi méchants. Parfois, en vouloir au système ne suffit pas, on a besoin de têtes, de personnes précises à accuser, même quand nous faisons tous et toutes partie du problème.

Ce que je ne comprends pas, en revanche :

  1. Cela est-il censé être un argument contre le véganisme ? Ce que nous devons en conclure n’est pas clairement dit, mais en tout cas ce n’en est pas un, non. Tout ça ne rend ni inexistante ni justifiée la mort des milliards d’animaux destinés à remplir notre assiette. Restons dans notre sujet, merci.
  2. Le fait, réel ou non, qu’il existe une conception du monde fondée sur le victimisme signifie-t-il que toutes les « nouvelles victimes » ne sont pas de vraies victimes ? Même chose : non. Ce n’est pas parce que trente personnes crient « Je suis Spartacus ! » que le vrai Spartacus n’est pas dans le lot. Ou ce n’est pas parce que l’écrasante majorité des gens qui ne mangent pas de gluten n’ont pas vraiment de problèmes de santé si elles en mangent qu’il n’y a pas dans le lot quelques personnes cœliaques, pour qui c’est une nécessité.
  3. Et surtout : Gnnnn ???? Comment est-on passé, en un paragraphe, de « certains antispécistes voient les gazelles comme des victimes » à « certains individus revendiquent à la télé qu’ils ne sont ni hommes ni blancs » ?

Bref, tout ça ne remet pas en cause le respect que j’ai pour le travail de Gérald Bronner. Je pense, pour tout vous dire, que lorsque des gens « extérieurs » au petit monde de la protection animale ou en tout cas du véganisme ne comprennent pas vraiment les choses, c’est en grande partie de « notre » faute. D’où l’importance, je le dis constamment mais personne ne m’écoute (sans doute parce que j’écris et que les pixels sont muets), de ne pas dire de conneries, de bien expliquer les choses, de tourner quarante-deux fois la langue dans sa bouche avant de parler, de fonder toutes ses connaissances sur la science et la logique, de laisser son égo, sa condescendance et son agressivité au vestiaire, de réfléchir aux conséquences de ses actions lorsque l’on milite (bon, et tout le temps).

Et de se rendre compte que ce qui est évident pour nous ne l’est pas nécessairement pour les autres, même les plus intelligents ou les plus ouverts.

 


Je publie ci-dessous la réponse de Gérald Bronner à ma réponse à Gérald Bronner. Comme je l’avais indiqué, pour éviter de massacrer davantage la syntaxe avec des réponses en réponse à des réponses de réponses (et parce que notre temps à tous n’est pas extensible), je n’y reviendrai pas. Je remercie Gérald Bronner d’avoir pris le temps de fournir une réponse très détaillée : tout le monde ne l’aurait pas fait.

Bien évidemment, il y a dans sa réponse des choses avec lesquelles je suis en accord, notamment parce qu’il a davantage précisé sa pensée, d’autres avec lesquelles je reste en désaccord, et des points sur lesquels je pense que nous ne sommes pas compris. Deux exemples, sur le fond et sur la forme.

Sur le fond : je ne pense pas nécessairement avoir quelque « devoir » que ce soit, par exemple. La notion de devoir m’est assez floue. Qu’il y ait une action mieux qu’une autre sur le plan éthique ne veut pas dire que je doive la faire. C’est « mieux » si je la fais. Mais c’est complexe, et ça dépasse le cadre du sujet.

Sur la forme : c’est là entièrement de ma faute je pense, mais j’ai cru comprendre que Gérald Bronner pensait que je m’adressais à lui lorsque je disais « vous » (notamment dans mon quiz). Le « vous », comme dans tous mes articles (excepté peut-être l’un d’entre eux) est un « vous » général, un emploi impersonnel d’un pronom de la deuxième personne, comme on emploi le « on ». Mais il est vrai que si l’on pense que je m’adresse directement à lui, ça frise parfois le ton moqueur ; j’en suis désolé.

Je répondrai enfin simplement à la question que Gérald Bronner me pose à la fin, car après tout cela se fait : sur ce point précis, aucun, a priori. Je ne vois pas de contexte où il soit utile ou légitime de se réjouir de la mort de qui que ce soit. Il faut savoir que j’ai même de l’empathie pour les terroristes, position sans doute ô combien isolée. Si se réjouir de la mort de quelqu’un (pas la mort, hein, le fait de s’en réjouir) augmentait grandement par exemple le bonheur dans la société, mon moi utilitariste pourrait considérer cela comme légitime, mais je peine à voir comment cela pourrait être le cas.


« Êtes-vous vraiment antispéciste ?

 

J’introduirai ce billet en vous remerciant tout d’abord de m’autoriser à la publier dans le corps du texte de votre blog ma réponse. Je poursuivrai ensuite en vous remerciant aussi de m’avoir interpelé de façon vigoureuse mais courtoise (je suis plus habitué à la première qu’à la seconde), ce qui me donnera l’occasion de préciser ma pensée et, si ce n’est de vous convaincre, du moins de lever quelques curieux malentendus que je perçois mieux grâce à votre texte.

Et je finirai ces quelques lignes introductives en précisant que, d’une part, j’écrirai ici de façon relâchée sur le ton de la conversation et non de l’article scientifique (même si je référencerai les lignes qui suivront ce que je ne peux faire dans un édito publié dans la presse en général) et que, d’autre part, je ne répondrai pas à toutes vos remarques car j’ai centré mon propos sur les arguments qui me paraissaient intéressants et me permettaient de développer un texte cohérent.

Il faut vous préciser en introduction que je reçois plusieurs fois par mois des interpellations par mails, publications sur des forums, en commentaire, sur des blogs ou même parfois par courrier papier, de lecteurs mécontents. Je n’en ai pas fait la statistique mais généralement ces récriminations commencent toujours par : « J’adore ce que vous faites habituellement mais là… » et ce « là » indique la croyance particulière de l’individu qui m’a écrit. En d’autres termes, mes analyses conviennent jusqu’au jour où mon interlocuteur se voit malmené dans ses propres représentations. L’introduction de votre billet m’a donc semblé bien familière ce qui ne présage évidemment pas du tout de la qualité de votre argumentation et du fait que j’aurais par principe raison et vous tort. Je ne fais ici que vous livrer le contexte de réception qui est le mien. Si je vous ai proposé de vous répondre c’est que la fin d’année universitaire m’en laissait (un tout petit peu) le temps et surtout que vos arguments sont clairs et qu’il y a donc un terrain de commensurabilité pour l’échange rationnel. Vous avez d’autant plus eu raison de m’interpeler que je ne prétends pas que mes billets dans la presse (éditos, chroniques) seraient de la science en général et de la sociologie en particulier. Je constate souvent qu’il y a une attente absurde pour des petits textes de 3000 signes dans lesquels je n’ai même pas la possibilité de mettre des notes de bas de page. Ce sont en revanche des textes qui ont l’ambition d’êtres des explorations argumentées d’une situation mais qui ont souvent la dimension de conjectures. A ce titre, il est tout à fait légitime d’en proposer une critique tel que vous l’avez fait dans votre blog.

Ceux qui aiment les animaux sont-ils tous d’affreux terroristes en puissance ?

Une partie conséquente de votre texte me reproche de faire une sorte d’amalgame entre ceux qui veulent prendre la défense des animaux et ceux qui commettent, au nom des droits qu’ils conçoivent pour eux, des violences. Vous ajoutez à ce premier reproche celui d’avoir plus d’attention pour certaines formes de radicalité que d’autres.

« Oui, il y a des cons partout, il y a des fous partout, il y a des gens qui font fausse route partout. J’en ai lu, des commentaires nauséabonds de la part de pêcheurs, des appels au viol et au meurtre visant une responsable politique qui avait eu l’audace de proposer l’interdiction de la pêche dans une grande capitale française (je n’en dirai pas plus). Pourtant, je n’ai lu nulle part que « certains pêcheurs se radicalisaient ».

Concernant ce dernier reproche, je ne nie que ma curiosité personnelle me conduit sans doute à scruter certains mouvements sociaux plus que d’autres mais le fait est que j’ai écrit, vous le savez puisque vous êtes un lecteur attentif, un livre : La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques (Denoël, 2009 republication Puf 2016) qui traitait extensivement de la radicalité mentale. Je puis vous assurer (il suffit de lire le livre) que je n’y n’exclus aucune forme d’extrémisme de mon analyse (j’ai même fait des entretiens avec des collectionneurs compulsifs…). Donc évidemment que les pêcheurs sont susceptibles de radicalisation et ces appels aux meurtres ou au viol que vous évoquez, je l’écris pour le cas où il y ait le moindre doute, seront, je l’espère, condamnés par la loi. D’une façon générale, pour moi la pensée extrême est caractérisée par toutes sortes de groupes adhérant radicalement à des idées radicales (je ne peux développer ici évidemment ce serait un peu hors-sujet mais du moins pouvez-vous entendre que ce spectre analytique ne s’applique pas seulement dans mon esprit à certains antispécistes).

Passons à présent à la critique qui nécessite le plus une réponse dans cette première partie et qui peut être résumée dans votre texte par : « Il y a des cons partout ». Là nous sommes d’accord. En d’autres termes, expliquez-vous, en focalisant mon attention sur quelques radicaux qui, dans le mouvement animaliste, usent de violence, ne suis-je pas coupable de pratiquer l’amalgame ? Ou plus précisément d’inciter à l’amalgame ? Je n’ai à aucun moment écrit, ni pensé, que cette violence était représentative des militants animalistes. J’écris dans l’introduction de mon billet : « certains éléments se radicalisent chez les vegans… », je ne vois pas comment être plus clair à ce sujet. Il n’y a aucun sophisme de généralisation dans mon texte ne serait-ce que parce que je n’ai aucune données me permettant d’évaluer l’approbation du recours à la violence parmi les mouvements « animalistes ».  En revanche, la suite de votre texte m’inquiète nettement plus : « Mais je n’apprécie pas non plus que l’on mette ces phénomènes marginaux en avant. »

Je comprends parfaitement le genre d’effet qu’un texte comme le mien peut produire chez un militant sincèrement pacifique. Les exemples que je donne vous les avez lus mille fois et vous les trouvez « tarte à la crème ». Mais il y a dans votre phrase une interdiction potentielle de penser tout mouvement radical. Ne voyez-vous pas que toutes les radicalités violentes s’enracinent dans des idéologies qui ne le sont pas par nécessité ? Ne voyez-vous pas que votre argument pourrait s’appliquer à n’importe quelle autre analyse d’une violence politique émergente ? Croyez-vous que tous les anarchistes du tournant du siècle dernier approuvaient la propagande par l’acte ? Pensez-vous sérieusement que tous les militants d’extrême gauche applaudissent aux assassinats d’Action directe ou des brigades rouges ? Je pourrais continuer avec le djihadisme terroriste etc. mais je pense que vous aurez cerné le danger intellectuel qu’il y a à empêcher de réfléchir à une forme de violence politique au prétexte qu’elle est encapsulée dans une idéologie qui n’appelle pas explicitement à la violence.

Cette asymétrie du jugement que vous me reprochez me paraît plutôt en général caractériser le militant qui ne voit pas toujours que les prémisses auxquelles il adhère peuvent potentiellement inspirer des formes de violence qui pour être minoritaires n’ont rien d’anecdotiques. Cette potentialité s’actualise-t-elle toujours en acte ? Certainement pas, la plupart du temps elle n’est qu’un embranchement possible d’une arborescence que seuls quelques-uns vont emprunter, mais il n’empêche que ce chemin est intéressant pour le commentateur. C’est particulièrement vrai lorsque cette violence est une des conclusions possibles des prémisses de l’idéologie. Nier l’existence de ces conclusions serait contrefactuelle puisque cette violence politique là existe, nous y sommes confrontés. Votre façon de raisonner me paraît être une forme de sophisme qui est symétrique à celui de généralisation et qu’on pourrait pour cette raison nommer sophisme de l’idiosyncrasie. Celui-ci consiste à nier toute portée générale à des exemples particuliers et à les considérer a priori comme absolument non-signifiant relativement au mouvement duquel ils sont issus. On peut s’interroger dans ces conditions sur les résultats de l’étude faits par des collègues sociologues sur le mouvement antispéciste italien et qui n’est guère rassurante sur la possibilité du recours à la violence (cf. Turina, I. (2010), « Ethique et engagement dans un groupe antispéciste », L’Année Sociologique, 2010/1-60). Bien entendu, les appels au pacifisme sont légion chez les antispécistes à commencer par Singer lui-même ou par exemple Regan « How to Justify violence » (ce texte a été publié dans l’ouvrage collectif Terrorists or Freedom Fighters? dirigé par Steven Best et Anthony J. Nocella II (Lantern Books, 2004, p. 231-236). Mais même cet auteur conclut son texte en écrivant : « Au final, et c’est malheureux, une chose semble certaine. À moins que la quantité massive de violence faite aux animaux soit reconnue par ceux qui la perpètrent, et jusqu’à ce que des mesures significatives soient prises pour y mettre fin, aussi certainement que la nuit succède au jour, certains militants, ici ou là, d’une façon ou d’une autre, auront recours à la violence contre des personnes qui maltraitent des animaux, afin de défendre les droits des animaux. » Ce n’est pas moi qui invente n’est-ce pas… Cet auteur approfondi d’ailleurs son analyse de la violence prévisible des mouvements animalistes dans : « Understanding Animal Rights Violence » dans Defending Animal Rights, Champaign, Illinois, University of Illinois Press, 2001. La traduction du premier article a été publiée dans le n° de mai 2017 des Cahiers antispécistes et c’est dans ce même numéro de mai 2017 que l’on trouve un texte écrit par un universitaire américain appelant à la violence et même au meurtre ! Je vous livre un petit extrait (mais il conviendrait de lire l’intégralité de ce texte) : « Dans les conditions d’une guerre totale, les mouvements de résistance ont pour seul impératif catégorique d’infliger autant de dommages que possible aux exploiteurs, d’empêcher qu’on capture, torture et tue des animaux et, plus généralement, de contrecarrer les assauts portés à la vie quelle qu’elle soit et à la Terre par tous les moyens nécessaires. L’industrie mondiale de l’holocauste est une machine à tuer dont l’inexorabilité et la prodigiosité sont telles que la moindre tentative de résistance efficace exige que nous opérions une « suspension téléologique de l’éthique » (Kierkegaard) et que nous nous mouvions « par-delà bien et mal » (Nietzsche) dans une contre-violence qui soit un rendu pour un prêté et fasse barrage à l’absurdité (non- nonsense, tit-for-tat counter-violence) (p.11) (Steven Best, (2017 / 2012), « Paralysie du pacifisme. Une défense de l’action directe militante et de la « violence » »).

Je ne sais trop ce que pense la rédaction des Cahiers antispécistes de ce genre de texte, je n’ai vu aucune mise en garde particulière, toujours est-il que je ne trouve pas de support francophone plus idoine pour évaluer ce qui paraît comme une argumentation publiable, c’est-à-dire comme légitime dans le débat. La possibilité du recours à la violence me paraît donc à l’agenda intellectuel  du mouvement antispéciste et la suite va rappeler pourquoi.

L’homme de paille de l’homme de paille

Vous me reprochez ensuite de pratiquer l’homme de paille, cette technique qui consiste à outrer l’argumentation de son interlocuteur pour pouvoir remporter une victoire facile. En effet, affirmez vous : « Ce que disent les antispécistes aujourd’hui (parce que, de toute façon, on en a parcouru du chemin depuis La libération animale), c’est que l’espèce ne doit pas être en soi un critère pertinent pour décider qui est digne ou pas de considération morale. Il faut faire appel à d’autres critères : possibilité de ressentir la souffrance ou niveau de sentience en particulier. Cela n’a rien d’un « égalitarisme du vivant » ».

En d’autres termes, je me ferais une représentation datée de l’antispécisme qui ne correspondrait plus aujourd’hui à sa réalité de « terrain ». Je ne sais pas comment vous savez exactement ce que disent les antispécistes aujourd’hui, attendu une fois encore que les textes trouvés dans les Cahiers antispécistes sans chercher beaucoup paraissent aller terriblement à rebours de votre sentiment, mais je suppose que vous parlez de l’impression que vous confère une fréquentation des mouvements militants. Je n’ai pas besoin de vous rappeler, puisque vous êtes zététicien, combien votre impression pourrait être faussée par une logique de recrutement social discriminante, des processus de mémorisation fautifs ou encore un biais de confirmation banal. Je vais plutôt faire comme si vos impressions de terrain étaient signifiantes. Et je vous répondrai fermement que ceux qui ne sont pas pour cet « égalitarisme » du vivant ne sont tout simplement pas antispécistes. Je sais bien que personne dans ce cortège ne réclame le droit pour les animaux de passer le permis de conduire par exemple (je ne suis pas totalement stupide) mais le terme égalitarisme renvoie à une conception ontologique. En d’autres termes, l’antispéciste est celui qui considère que tout organisme vivant à la même valeur que n’importe quel autre. Le terme antispéciste choisi par Singer ne l’a pas été au hasard évidemment. Je rappelle pour la forme que pour lui, les animaux doivent être considérés comme moralement égaux aux êtres humains : « Les racistes, explique-t-il, violent le principe d’égalité en donnant un plus grand poids aux intérêts des membres de leur propre race quand un conflit existe entre ces intérêts et ceux de membres d’une autre race. Les sexistes violent le principe d’égalité en privilégiant les intérêts des membres de leur propre sexe. De façon similaire, les spécistes permettent aux intérêts des membres de leur propre espèce de prévaloir sur les intérêts supérieurs des membres d’autres espèces. »[1] Le spéciste viole donc un principe d’égalité. Evoquer l’égalitarisme du vivant prôné par cette idéologie n’a donc rien d’une outrance. Si vous n’acceptez pas cette prémisse du raisonnement désolé mais derechef, vous n’êtes pas antispéciste. Et si vous l’acceptez vous devez aussi concevoir qu’à partir du moment où vous comparez ce que les humains font à certains animaux au racisme et à l’esclavage (à un « holocauste » ou à un « crime » pour reprendre des termes souvent utilisés) vous ne devez pas vous étonner que l’indignation ressentie puisse aboutir parfois au recours à la violence politique. C’est toujours au nom d’une certaine idée qu’ils se font du bien et de la détestation de l’apathie de leurs concitoyens que certains décident de passer à la propagande par l’acte. Malheureusement pour votre ligne de défense, le programme de l’antispécisme est inscrit dans son nom même : si vous voulez le changer il faut alors aussi changer de nom. C’est pourquoi je crois que l’introduction de votre billet est fautive : « Les différences entre véganisme, antispécisme, animalisme, c’est très intéressant sur le plan théorique, mais de manière pragmatique, opérationnelle, on veut tous que cesse la consommation de cochons et des poulets, quoi. » Il n’est pas du tout indifférent même descriptivement de séparer fermement le véganisme de l’antispécisme car si je suppose que tous les antispéciste sont vegans l’inverse n’est évidemment pas vrai. L’antispécisme est conceptuellement beaucoup plus impliquant.

Que nous devons éviter la souffrance animale

Je poursuivrai mon propos en vous citant : « Pourquoi est-ce qu’on est véganes ? Je suis gentil, je vous donne plusieurs possibilités :

  1. Parce qu’on n’aime pas le goût de la viande ?
  2. Parce qu’on adore les légumes et les légumineuses ?
  3. Parce que derrière la viande, le lait ou les œufs, il y a un système qui exploite des êtres sensibles, qui les fait souffrir, que le principal responsable de ça c’est notre consommation, que, parallèlement, un levier important pour arrêter cela c’est notre non-consommation , et qu’une société juste est une société qui ne fait plus subir ça aux milliards de milliards d’animaux victimes de ce système ?

Bonne réponse. Vous gagnez un Quid. Mon dieu que je suis vieux. »

Sur la forme je pense que l’humour censé moquer ma position vous dessert. Croyez-vous vraiment que je n’ai pas compris que vous voyez dans le fait de ne pas manger de la viande un impératif moral ? Mais je pense que cet argument se retourne contre le propos général de votre billet. En effet, c’est bien un impératif moral qui vous conduit à renoncer à certaines formes de nourriture. Et je ne conteste pas le caractère vertueux de votre choix fondé notamment sur votre désir de ne pas faire souffrir les animaux. Il faut reconnaître qu’un certain nombre de travaux éthologiques notamment ont largement contribué à effacer les frontières que l’histoire de la pensée avait dressées entre les autres animaux et nous. Georges Chapouthier (2009, Kant et le chimpanzé. Essai sur l’être humain, la morale et l’art, Paris, Belin. ) met, par exemple, en exergue les compétences cognitives des chimpanzés, des éléphants, des dauphins, des pieuvres, des corbeaux ou des pies. Certains d’entre eux, il est vrai, passent avec succès des tests concernant la conscience de soi, les émotions profondes, la capacité à planifier ou la mémoire à long terme. De la même façon, les observations spectaculaires de Frans de Waal (2002, De la réconciliation chez les primates, Paris, Flammarion) incitent à considérer le monde animal avec un regard moins anthropocentré. Ce primatologue néerlandais montre que la réconciliation après un conflit n’est pas un trait spécifiquement humain et qu’il est partagé par nombre de primates, notamment les bonobos, qui en feraient un usage plus étendu que nous. Je pense aussi aux travaux de Marc Bekoff (2009, Les Émotions des animaux, Paris, Payot), cet éthologue végétarien a travaillé pendant plusieurs décennies sur les sentiments animaux. Il insiste sur le fait que, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, les animaux sont capables d’émotions et de sentiments profonds. Selon Bekoff qui est aussi un militant (par exemple, contre l’usage « d’animaux non humains » dans les cirques) les moustiques, les moules et les coquilles saint-jacques méritent aussi qu’on se pose la question de leur statut, et que nous ne devons pas nous dispenser a priori de les considérer comme des êtres porteurs de sentiments et d’émotions.

La vérité donc est que vous suivez votre sentiment et que vous vous sentez des devoirs envers eux. Je partage ce sentiment avec une nette différence de degré mais je pense que l’humanité a effet des devoirs envers les animaux… Ainsi vous avez tort d’écrire comme un reproche : « Ce n’est pas parce qu’un individu non humain souffre de manière « moins complexe » (et encore…) qu’un être humain que sa souffrance ne doit pas être prise en compte. » Je ne pense absolument pas cela et même dans le petit texte que j’ai écrit dans Le Point, j’ai pu passer cette idée : « les frontières qui séparent humanité et animalité sont plus poreuses qu’on ne l’a longtemps cru et à ce titre la cruauté envers les animaux est inacceptable »

Seulement voilà, vous confondez le devoir moral envers quelqu’un ou quelque chose et les droits qui seraient symétriques à ces devoirs. C’est à mon avis une erreur philosophique qui n’est pas du tout sans conséquence pour notre échange, je vais dire pourquoi plus bas. Pour argumenter la différence que je vois sur ce point entre l’humanité et le reste du monde animal, je vous citerai une fois de plus : « Certains humains sont plus forts, plus intelligents, plus rapides que d’autres. Il est – heureusement – admis que cela est sans incidence, en principe, sur qui vit ou qui meurt. » Evidemment oui, et pourquoi cela ? Qu’est-ce qui fonde la pensée antiraciste ou antisexiste ? Fondamentalement ? Ce n’est pas la différence de force physique ou d’intelligence supposée mais bel et bien l’idée, non exprimée aussi explicitement mais vous ne trouverez pas d’autre argument rationnel en l’état de la connaissance, de la commune valeur de notre système nerveux. C’est cette idée implicite et solide qui permet l’espoir universaliste qui suggère un égalitarisme dans le monde des humains. Et c’est pour cette raison que les autres animaux ne sont pas nos égaux. Ce qui fait la spécificité de l’Homme, ce n’est pas, en pourcentage, la dissemblance de son matériel génétique, qu’il aurait le monopole du sentiment moral ou d’une forme de langage, mais la structure de son cerveau, le développement de son cortex cérébral et en particulier les lobes frontaux. L’idée selon laquelle la taille du cerveau humain en ferait sa spécificité est fausse, puisqu’il se trouve des animaux ayant un cerveau plus volumineux que le nôtre. D’ailleurs, l’homme de Neandertal avait un cerveau plus gros que celui d’Homo sapiens sans en avoir déployé les capacités. De la même façon, ce n’est pas non plus le nombre de neurones qui constitue la clé de l’énigme de notre virtuosité cognitive. Nous ne possédons pas, en proportion, plus de neurones que le chimpanzé. Et si le cerveau humain est doté, en moyenne, de 86 milliards de neurones, seuls 17 milliards d’entre eux sont dévolus au cortex, région qui serait responsable de la pensée et de la culture humaines. L’énigme commence à s’éclairer lorsqu’on observe que le volume du cortex humain est 2,75 fois plus gros que celui du chimpanzé et ne possède pourtant que 1,25 fois plus de neurones. Que peut-on en déduire ? Comme le soulignait Ghouse Ahmed Sharriff dès 1953 (« Cells counts in the primate cerebral cortex », Journal of Comparative Neurology, 98 (3), p. 381-400), l’espace compris entre les corps cellulaires, nommé neuropile, est constitué en grande partie de connexions (axones, dentrites et synapses) reliant entre eux ces corps cellulaires. C’est la même conclusion à laquelle on aboutit en observant la constitution du lobe frontal impliqué dans les tâches de mémorisation, dans la souplesse cognitive, le raisonnement abstrait, l’engagement dans un comportement adapté et l’inhibition des comportements inadaptés : l’arborisation des neurones y est plus importante qu’ailleurs, le nombre de ramifications que l’on trouve aux extrémités des dentrites y est remarquable et augmente mécaniquement les possibilités de connexions.

Guy Elston (2003, « Cortex, cognition, and the cell: News insights into the pyramidal neuron and prefrontal function », Cerebral Cortex, 13 (11), p. 1124-1138) a montré que les neurones pyramidaux du cortex préfrontal ont des ramifications et un nombre de dentrites basales plus important qu’ailleurs dans le cerveau, ce qui confère à ces neurones une plus grande connectivité. On peut ajouter qu’il existe aussi des différences entre les types de neurones mobilisés par notre cerveau et celui des animaux, même par celui de nos « cousins » les chimpanzés. Ainsi, les Ven (Von Economo Neurons, du nom du neurobiologiste autrichien qui les a découverts), localisés dans les deux régions du cerveau (la cingula et le cortex fronto-insulaire) impliquées dans le traitement des émotions complexes comme la culpabilité, le malaise social, l’empathie, la décision intuitive, sont plus nombreux chez l’homme. On en dénombre 6 950 chez les grands singes et 193 000 chez l’homme adulte. Un enfant de 4 ans en possède déjà 184 000 et un nouveau-né, 28 200 (Allman, J. M., Watson, K. K., Tetreault, N. A., et Hakeem, A. Y. (2005), « Intuition and autism: A possible role for von Economo neurons », Trends in Cognitive Science, 9 (8), p. 367-373). Cette connectivité, qui fait la singularité du cerveau humain, est encore révélée par le nombre de cellules astrocytes présentes dans notre organe. À elles seules, elles représentent la moitié des cellules du cerveau humain. Or, la protéine qu’elles secrètent, la thrombospondine, favorise précisément l’arborescence synaptique. Il se trouve que le cerveau humain en produit six fois plus que celui des chimpanzés. D’une façon générale, toutes les spécificités du cerveau humain, lequel fonde le caractère unique de notre espèce, relèvent d’éléments qui régissent les tâches cognitives supérieures, sociales, ou l’aire du langage. Cette structure anatomique fait de notre cerveau l’un des objets les plus complexes de l’univers connu.

Je pense donc que le critère implicite qui nous sert à justifier l’antiracisme et l’antisexisme ne peut être convoqué pour l’antispécisme, c’est même l’inverse qui est vrai : il nous offre de comprendre rationnellement pourquoi la vie d’un homme compte plus que celle d’un animal ceteris paribus. Nous avons donc des devoirs envers les animaux car nous sommes des êtres possiblement rationnels et nous savons qu’ils peuvent souffrir mais nous avons des droits qu’ils ne peuvent avoir car tout notre système de droit est fondé sur l’idée de l’équivalence ontologique des êtres humains et l’idée par exemple que « nul n’est censé ignorer la loi ». D’ailleurs chacun comprend bien aujourd’hui l’absurdité qu’il y a à traduire un animal en justice comme cela se faisait banalement au Moyen Âge où une vache ou un cochon pouvaient être condamnés à la potence. A cette époque on excommuniait par exemple les rats ou les sauterelles voire les poissons… Les faits que l’on pouvait reprocher notamment aux cochons étaient aussi bien des vols que des homicides. Si les animaux avaient des devoirs nous pourrions instruire légitimement contre eux des procès. Cette pratique a disparu du monde humain car l’inférence qui l’autorise est intenable.

Et cette irresponsabilité touche aussi le monde humain précisément. Car si nous avons bien des devoirs envers les personnes déficientes intellectuellement, par exemple, elles n’ont pas le même statut juridique de responsabilité qu’un autre être humain… et elles n’ont pas non plus les mêmes droits. Ainsi, la « loi handicap » de 2005 permet aux personnes sous tutelles de pouvoir voter mais seulement après la consultation d’un juge : il s’agit d’une restriction (plus légère que par le passé) d’un droit fondamental du citoyen. De la même façon une personne atteinte d’un handicap mental peut tenter de passer son permis de conduire mais il lui faut un assentiment médical et il faut que cet assentiment soit agréé auprès de la préfecture ou par une commission spéciale. Ce candidat particulier doit encore passer des tests pour s’assurer de ses capacités cognitives. D’une façon plus générale encore, les enfants ou les vieillards séniles voient leurs droits être limités à proportion approximative de leur capacité cognitive mais en aucun cas les devoirs que nous avons envers eux.

Pour conclure, les sentiments que nous avons pour les animaux sont facilement pris par nous comme l’évidence qu’ils ont des droits alors que nous ne ressentons en fait que les devoirs que nous avons envers eux. Lorsque c’est le cas, on ne peut pas dire que la personne considérée soit antispéciste, elle est plus sensible que la moyenne des individus à cette souffrance animale et en tire des conclusions concernant sa conduite que tous ne tirent pas mais elle ne considère pas pour autant qu’une vie animale vaut ceteris paribus autant qu’une vie humaine. Celui qui, au contraire, considère qu’il y a un égalitarisme du vivant et que, par conséquent, tuer un animal est un crime au sens juridique du terme, celui-là se trouve confronté à un forme de dilemme qui, dans certains cas, peut le conduire au totalitarisme.

Pourquoi il y a une charge totalitaire dans tout cela

Passons donc pour conclure à votre dernier argument important. Celui-ci est formulé de façon cavalière mais c’est sans doute parce que vous cherchez à convaincre et être drôle en même temps (question intéressante mais hors-sujet : pourquoi la drôlerie est-elle si facilement prise pour de la pertinence ?) : « Sortir cet argument de la liberté, c’est soit ne rien avoir compris à nos motivations, soit ne pas vouloir comprendre, soit faire semblant de ne pas comprendre. Bien sûr que nous souhaitons que tout le monde arrête de manger de la viande. »

Là je pense que vous traitez avec beaucoup trop de légèreté une question classique de philosophie politique et qui permet d’évaluer la charge totalitaire d’une idéologie. Les exemples que vous donnez ensuite « je respecte mais… » ne sont pas au niveau de l’argumentation que vous proposez dans le reste de votre billet. Je ne veux pas paraître offensant mais ils sont en fait risibles. Résumons en partant d’une évidence : tous les militants ont pour but de modifier d’une façon ou d’une autre la manifestation des normes sociales pour qu’elles tendent vers la représentation qu’ils se font du bien. Cette activité est noble et c’est elle qui a souvent permis ce que l’on peut nommer pour aller vite le « progrès social ». L’argument de la liberté est incontournable car cette modification des normes de la vie sociale (qui peuvent éventuellement mais pas toujours devenir juridiques) altère mécaniquement l’idée que certains se faisaient de leur liberté. Ainsi, la liberté que j’ai de frapper un passant est entravée par une loi qui a donné lieu sans doute à des débats et peut-être à des luttes que l’histoire humaine a en grande partie oublié. Tout a en fait déjà été dit et depuis bien longtemps à ce sujet mais je me permets de faire un petit rappel qui ne sera peut-être pas inutile étant donné la nature de vos exemples : Comme Hobbes l’a suggéré dans son Léviathan, l’homme dans l’état de nature est asocial parce qu’il est animé par le désir de poursuivre les objets favorables à sa vie et d’écarter ceux qui lui nuisent. La nature de la liberté des individus conduit à les opposer les uns les autres, de sorte que l’état de nature est un état conflictuel dans lequel chacun refuse de consentir à restreindre sa liberté. Hobbes pensait que la société politique avait été la solution construite par les hommes pour répondre aux difficultés de leur asocialité initiale. Les lois seraient, en fait, des chaînes que l’homme se donnerait à lui-même en vue, avant tout, de préserver sa liberté. La lutte concernant les normes, les conventions ou les lois qui vont régir notre vie sociale est fondamentale car il existe dans cette vie sociale des propositions qui sont concurrentes. Dans cette concurrence, chacun va chercher (par exemple en militant) à gagner la bataille de la conviction. Concernant les vegans, leur espoir est bien que plus personne ne mange de viande un jour. Il n’y a rien de choquant dans cet espoir, il découle normalement du sentiment fort d’avoir des devoirs envers les animaux. Dans l’espace des idées, ils militent pour faire de cette proposition une idée dominante voire monopolistique. Face à cette idée s’opposent toutes sortes de considérations fondées – ce n’est qu’un exemple – sur le plaisir à consommer de la viande. Parce ces derniers ne cherchent pas à contraindre les vegans par la force ou par la loi à manger de la viande et parce que les vegans font symétriquement de même, cette concurrence a lieu comme dans toute société démocratique sur le marché cognitif.

Ce qui va être un symptôme du totalitarisme pour une idéologie est le fait que certains de ses « adhérants » vont transmuer ces désirs concurrents en volonté contradictoire. En d’autres termes, il n’y aura plus moyen de coexister pacifiquement au sens hobbesien du terme dans un espace commun. Nous serons dans une situation agonistique.

Ce risque totalitaire pèse plus facilement quand l’idéologie impliquée est fondée sur une indignation morale et l’idée d’une urgence absolue. Dans ces conditions, comme toujours, la fin justifie les moyens. Il me semble que l’antispécisme plus que le véganisme implique ce risque car en fondant ses réflexions sur un fallacieux égalitarisme, il criminalise l’indifférence à l’égard du monde animal. Dans ces conditions est-ce qu’envisager les différentes formes que pourraient prendre ce risque est quelque chose comme un pente glissante ?

« Tiens, ne serait-ce pas un paralogisme de la pente glissante ? » faites-vous remarquer malicieusement. Il faudrait que certains zététiciens soient prudents dans leur recours au paralogisme et biais cognitifs qu’ils recrutent de façon parfois un peu « magique ».  Je pense notamment que c’est le cas ici. L’invocation totémique de la « pente glissante » est particulièrement problématique ici car conjecturer sur les conséquences possibles (et déjà tangibles) des conclusions hyperboliques auxquels certains parviennent avec des prémisses douteuses est un exercice intellectuel classique et non intrinsèquement fautif. En l’occurrence ce n’est pas une pente glissante imaginaire mais bel et bien une réalité argumentative. Dans mon texte du Point j’évoque en effet le neurobiologiste Stefano Mancuso, qui réclame des droits pour les plantes cette fois. Dans son ouvrage Brilliant green, il invite à  élargir notre conception de l’intelligence et à considérer que les végétaux qui peuvent établir des stratégies pour contrer les prédateurs et sont loin d’être inertes n’en sont pas dépourvus. Dans ces conditions, ne devraient-ils pas aussi bénéficier de cette extension de la prise en compte des droits du vivant demande-t-il explicitement ? Cette pente n’est en fait que l’excroissance logique des prémisses de l’antispécisme. Je comprends qu’en tant que vegan ce soit particulièrement incommode, car Mancuso a pour les arbres des revendications morales qui ressemblent à celles de l’antispécisme. Il est rationnel d’imaginer qu’elles puissent donner lieu à terme au même genre de militantisme, au même genre de revendications même si on peut imaginer (mais nul n’est Tiresias dans ce domaine) qu’elles rencontreront un succès mitigé. Cet égalitarisme du vivant produit d’autres curiosités de l’esprit qui ne sont rien d’autres là aussi que des excroissances possibles (mais non nécessaires) de l’antispécisme. Ainsi certains « interventionnistes » (que j’évoque un peu dans mon texte du Point) proposent de modifier la nature même pour faire baisser la masse globale de la souffrance animale qui vient prioritairement du monde des prédateurs. Eliminer les prédateurs, les rendre infertiles, les rendre herbivores sont certaines des hypothèses qui sont sérieusement envisagée. David Olivier par exemple dans le numéro d’avril 2018 de La revue antispéciste (c’est récent vous voyez) écrit : « Mais le droit à la vie d’un lion lui permet-il d’exiger d’une gazelle qu’elle lui cède ses organes – de fait, son corps entier ? Je ne vois pas comment cela pourrait se justifier. Si nous appliquons les normes que nous appliquons aux humains, nous ne devons pas tuer les lions ; mais nous ne devons pas non plus leur permettre de manger les gazelles. Et si les lions ne peuvent survivre sans manger les gazelles, ils mourront. » (ici par exemple en passant l’égalitarisme du vivant ne fait aucun doute et je passe bien entendu sur le paralogisme de l’assymétrie entre les conséquences de l’action et de l’inaction car ce n’est pas le sujet).

Une fois de plus, ce n’est pas moi qui invente ces arborescences et construit un homme de paille. Celles-ci sont en effet la conclusion possible de l’adhésion inconditionnelle à des prémisses dont on voit – par les conclusions auxquelles elle permet d’aboutir – le caractère radical. Ce n’est pas pour rien qu’on trouve à ce sujet le texte intelligent mais embarrassé d’Estiva Reus, une antispéciste qui a bien vu ce qu’elle appelle « l’escalade dans l’affirmation de l’atrocité de la vie sauvage ». Ce texte qui se présente comme un « livre » a paru dans le numéro de mai 2018 des Cahiers antispécistes. Cette radicalisation (qui correspond vraiment bien dans son processus à d’autres formes de radicalisation que j’ai pu observer sur certains terrains et que je décris donc dans La pensée extrême) la met mal à l’aise car elle comprend bien que cette logique de interventionnistes découle mécaniquement de l’adhésion inconditionnelle aux prémisses de l’antispécisme. Une logique que Singer avait pourtant condamnée par avance, visionnaire qu’il était des possibles arborescences logiques de ses propositions, en écrivant à peu près « il faut laisser la nature en paix ». En fait le dilemme qu’elle ressent est précisément celui que ressent toute personne engagée dans une idéologie mais refusant d’en suivre la terrible logique. Et c’est ce qui l’empêchera probablement de suivre une logique de terreur. Elle vivra, comme la plupart d’entre nous, en tolérant des contradictions internes et sans chercher à vivre dans la magnifique cathédrale logique de la pensée extrême. Mais il y a ceux aussi, et ils sont déjà là l’histoire l’a montré et le montre, qui n’admettront pas cette incohérence et basculeront dans la violence politique. Il n’y a donc pas d’amalgame fautif à rappeler comment et pourquoi c’est un horizon possible (mais loin d’être fatal donc) de l’idéologie antispéciste.

Je terminerai en ayant bien compris que vous ne paraissez pas susceptible vous-même de vous engager sur cette pente radicale mais pour en être bien certain je vous citerai une dernière fois : « Je ne cautionne absolument pas ces divers actes, qu’il s’agisse des destructions de vitrines ou des posts se réjouissant de la mort d’un boucher. Je trouve ça non seulement contre-productif, mais même pas justifié dans le contexte sociétal actuel. » Et je me permets de vous demander : pourriez-vous nous dire dans quel « contexte sociétal » d’après vous il serait justifier de se réjouir de la mort d’un boucher assassiné par un terroriste ?

[1] Singer, P. (2012), La libération animale, Paris, Payot.

Gérald Bronner »

30 réflexions sur “Débunkage #5 : le totalitarisme des gazelles cis blanches qui ont tous les droits”

  1. Je suis complètement d’accord en particulier sur cet « argument de la liberté individuelle » qui est une réponse passe-partout aujourd’hui: on n’a pas le droit de dire aux gens en 2018 qu’il ne faut pas jeter du plastique dans une poubelle à déchets alors qu’une poubelle de recyclage se trouve à côté, et on est presque idiot de penser que ce n’est pas parce qu’on a les moyens (en tous genre) et l’envie d’exploiter les animaux que c’est forcément légitime de le faire. Ras le bol que l’humain se croie au-dessus de tout ; on a aussi hiérarchisé les habitants de cette planète à l’ère du colonialisme et on voit où ça nous a menés…

    1. Haha ça me fait plaisir ! Mon lectorat pas encore végane est mon préféré (le dites pas trop fort) parce que je me dis que je peux peut-être très très très modestement apporter de l’eau au moulin de votre réflexion 😉

  2. Cher Inugami, Merci pour ce billet argumenté et amusant. Cela ne vous surprendra pas je ne suis pas d’accord avec vos arguments. Comme ce texte soulève des points très intéressants et qu’il le fait si ce n’est d’une façon bienveillante en tout cas pas du tout de façon malveillante, je vous propose de vous répondre. Cela m’aidera à clarifier ma pensée à lever des malentendus et à reconnaitre certaines des faiblesses de ce petit texte. Je souhaiterais le faire dans le corps de votre blog et non dans les commentaires. Si cela ne vous convient je comprendrais et… tant pis. Bien à vous. Gérald Bronner.

      1. Bonjour, je ne retrouve plus votre message mail. J’ai donc fini mon texte. Auriez-vous la gentillesse de m’envoyer de nouveau un mail pour que je puisse vous envoyer mon texte word. Merci beaucoup par avance. Gérald.

  3. Intelligent, sympa et drôle. Le billet a été partagé dès parution sur la page Facebook antispécistes. Je le dis ici puisque l’auteur a lâchement déserté FB, créant les condition d’une concurrence ultra-déloyale avec les gens normaux qui passent 12h par jour à consulter leur mur.

    1. Merci beaucoup !

      L’auteur est en parfaite zénitude depuis qu’il ne va plus sur FB (si ce n’est sur sa page ces derniers jours) et qu’il n’a plus à affronter la fange. Il a le teint moins blafard, redécouvre la lumière du jour et l’air frais (non) de la région parisienne.

      Un jour, il va redécouvrir les livres, les vrais, ceux qui parlent pas d’animaux.

  4. vous comparez donc le fait de se nourrir à un acte d’incivilité ?
    pour l’instant, il est encore légal et recommandé de consommer des protéines animales et d’utiliser les animaux pour des fonctions comme le sauvetage, l’assistance, les loisirs dans le respect des lois.
    Que vous considériez que se nourrir d’animaux est inutile c’est votre droit, d’autres pensent que se nourrir uniquement de végétaux est risqué pour la santé.
    C’est ce droit que revendique le non-vegan, le droit de penser qu’il est préférable en l’état actuel des connaissances de se nourrir d’animaux

    1. « Vous comparez donc le fait de se nourrir à un acte d’incivilité ? »

      Non. Je ne parle pas du « fait de se nourrir ».

      Ce que je dis, c’est que tous les actes (et le fait de ne pas agir aussi) ont des conséquences. Certaines conséquences sont plutôt bonnes, d’autres plutôt mauvaises. Et il me semble important de réfléchir à ces conséquences. Lorsqu’on mange de la viande (plus précisément lorsque l’on achète de la viande) on entretient un système où les animaux souffrent et sont tués. Donc l’argument de la liberté ne fonctionne pas comme « caution éthique », parce que derrière cette liberté, on provoque de la souffrance que l’on pourrait éviter. On peut très bien arguer que le plaisir ressenti par un individu A qui mange de la viande est supérieur à la souffrance causée à l’individu B qui est cette viande, et que « le jeu en vaut la chandelle » ; mais c’est un autre sujet et je pense que c’est assez intenable de bonne foi.

      Il n’est, encore une fois, pas question de juger les personnes, d’ailleurs. Il n’en reste pas moins que, dans une situation lambda, et en raison de critères comme l’impact environnemental de l’élevage ou la souffrance animale, je pense que le fait de choisir les pois chiches est plus éthique que le fait de choisir le bœuf ou le poisson.

      Ce qui importe n’est pas l’acte en lui-même : ce sont les conséquences de l’acte. Et on peut faire des choses très bien sous la contrainte et des choses horribles de manière parfaitement libre, et vice-versa.

      « Pour l’instant, il est encore légal et recommandé de consommer des protéines animales et d’utiliser les animaux pour des fonctions comme le sauvetage, l’assistance, les loisirs dans le respect des lois. »

      Restons sur la consommation de viande (et de produits d’origine animale), puisque c’est le sujet de ce billet.

      Légal, oui. Ceci dit, la loi n’a aucun, mais alors aucun rapport avec la morale. Je ne listerai pas les choses qui ont été légales (ou sont encore légales) dans le monde mais qui répugneraient tout le monde du point de vue moral.

      Recommandé, non. Sur le plan environnemental ou le plan de la souffrance animale, le régime végétalien gagne haut la main. Sur le plan de la santé, personne ne gagne vraiment : tout est une question d’équilibre alimentaire. Il faut avoir un régime équilibré, mais un régime végétalien équilibré, comme un régime carné équilibré, est parfaitement viable, à tous les âges de la vie.

      Je renvoie vers cette étude, notamment, et surtout vers les sources, car une seule étude n’est jamais suffisante : https://jandonline.org/article/S0002-8223(09)00700-7/fulltext

      Pour une synthèse de « ce que dit la science » des régimes végétariens et végétaliens : https://blogs.mediapart.fr/florence-dellerie/blog/140218/veganisme-vegetalisme-ce-que-dit-la-science

      « Que vous considériez que se nourrir d’animaux est inutile c’est votre droit, d’autres pensent que se nourrir uniquement de végétaux est risqué pour la santé. »

      La science (entendez « dure ») n’est pas la politique, l’éthique ou l’économie. Il n’y a pas d’opinion, en matière de science. Il y a des faits, c’est tout. Et le fait est qu’une alimentation végétarienne ou végétalienne équilibrée est viable à tous les âges de la vie. C’est ce que dit clairement la science. Ce que je pense, ce que vous pensez ou ce que mon voisin pense n’a aucune emprise sur les faits. On a le droit de penser ce qu’on veut, mais cela ne change rien à la réalité des choses.

      « C’est ce droit que revendique le non-vegan, le droit de penser qu’il est préférable en l’état actuel des connaissances de se nourrir d’animaux. »

      Encore une fois, on pense ce que l’on veut 🙂

      Ceci étant dit, c’est quand ce que l’on pense se traduit par des actes que le bât peut blesser. Quand ça n’a que des conséquences à l’échelle individuelle, pas de problème. Mais quand une pensée erronée a des conséquences néfastes sur d’autres individus (fussent-ils des animaux), c’est un problème. Le droit de penser, oui, bien sûr. Le droit de causer de la souffrance en raison de mauvaises connaissances scientifiques, certainement pas.

  5. Bonjour et merci pour le texte !

    Je me permets de re-poser ici une question soulevée sur fb, où j’ai cru comprendre que vous ne passiez pas souvent.

    Comme vous avez l’air informé sur le sujet, j’en profiterais volontiers pour essayer de comprendre un aspect du veganisme que je n’ai pas trouvé comment aborder.

    In fine, dans le monde idéal sans exploitation animale, à quoi ressemble le modèle agricole ? Ce qui me chagrine, c’est qu’à ma connaissance, sans productions animales, seule la chimie de synthèse permet de restaurer la fertilité des sols (d’où l’importance de fermer les cycles en permaculture) ; et un calcul énergétique simple montre que, si on veut limiter le pétrole et qu’on s’interdit la traction animale, il faut qu’une majorité de la population active retourne travailler dans les champs pour fournir le travail nécessaire aux cultures.

    1. Avec plaisir !

      C’est effectivement un sujet passionnant, qui je pense mériterait de faire l’objet de davantage de réflexions de la part des véganes eux-mêmes. « Un monde végane », c’est une transformation énormissime de notre système, qui exige de tout repenser. Restructurer toute l’économie et une bonne partie de notre mode de vie.

      Clairement, on n’en parle pas assez, pour plein de raisons : certains ne veulent pas en parler, d’autres ne voient pas les problèmes arriver, et surtout : nous sommes assez peu nombreux à nous intéresser à ça, et pour trouver des experts en agriculture, bon courage. Je n’en fais pas partie, et je pense que d’autres vous répondront beaucoup mieux que moi 🙂

      Ceci étant dit, ce qui me semble assez évident, c’est que le monde végane, s’il arrive, arrivera par une transition, pas du jour au lendemain. Les solutions, les adaptations nécessaires, tout cela sera pensé au fur et à mesure, comme tout ce qui a été fait dans l’histoire, en fait. L’histoire de l’humanité est une suite de changements 😉

      D’autre part, parmi les outils utilisables : la viande de culture, les OGM, et la « chimie de synthèse », effectivement. Mais cela ne pose pas de problème en soi : comme tout, notamment comme ce qui est plus « naturel » (quoi que cela veuille dire), cela peut avoir des conséquences plus ou moins bonnes. Si l’on utilise de bons OGM et de bons produits de synthèse, je n’y vois pas d’inconvénients.

  6. Mais qu’est ce que l’auteur de l’article voulait dire par « De là, il n’est peut-être pas si étonnant de voir des individus sur des plateaux de télévision revendiquer contre l’évidence qu’ils ne sont ni hommes ni blancs » ??? je vous jure ça fait 30 fois que je visualise ça dans ma tête ça n’a aucun sens ni rapport avec le reste, c’est peut être un truc d’intellectuels mais si quelqu’un peut m’expliquer ?

    Surtout que je ne trouve pas particulièrement très malin d’en rajouter avec cette histoire, la personne qui a dit cela sur le plateau télévision ayant subit et continue de subir un véritable harcèlement.

  7. Excellent article, drôle et bien écrit !

    Mon point de critique, qui est mineur par rapport au fond de ton sujet, est la vision un peu naïve et positiviste de « LA science » que tu relaies (en particulier dans un commentaire), qui ne se rapporterait qu’aux faits et n’aurait « rien à voir avec l’opinion ». En réalité, l’activité qui consiste à dégager des lois, des faits scientifiques, se fait toujours dans un contexte social, instrumental, politique, culturel donné. Il s’agit toujours de donner du sens à des données complexes, parfois contradictoires, et de nombreux facteurs extérieurs à la dite science interviennent. Les faits scientifiques sont « fabriqués », ils ne sont pas donnés. Il ne s’agit pas de dévoiler un ordre sous-jacent à l’univers, mais plutôt de dégager des lois qui font globalement sens, pour nous aider à agir sur le monde.

    C’est tout l’apport de la sociologie des sciences que de nous avoir permis de remettre en question cette vision « mythologique » de la science, qui est si courante chez le grand public. Toi qui aimes questionner les idées reçues, tu pourrais apprécier de telles lectures. Une telle reconnaissance de la nature de l’activité scientifique ne conduit pas au relativisme total (on peut par exemple affirmer globalement que les régimes fondés sur les végétaux sont meilleurs pour la santé), mais peut amener à présenter des points de vue plus nuancés sur « ce qu’on sait » du monde, et en particulier du lien entre alimentation et santé. Je pense donc que les réflexions présentées ici, qui sont brillantes et stimulantes, gagneraient intégrer les apports de la philosophie et de la sociologie des sciences 😉

    1. Merci beaucoup !

      « L’activité qui consiste à dégager des lois, des faits scientifiques, se fait toujours dans un contexte social, instrumental, politique, culturel donné. »

      Absolument.

      Il est vrai que je prends un raccourci, mais ce que je veux dire, de manière plus détaillée, c’est : le consensus scientifique est ce qu’il y a de « plus fiable » dans le domaine des croyances/opinions. Plus qu’une étude isolée, plus que le bouche à oreille, plus qu’une intuition, plus que l’expérience personnelle, plus qu’une religion, plus que ce que nous dit notre coeur, etc. Du coup, pour savoir quoi penser dans une situation X, dans laquelle quoi qu’on fasse (même si l’on s’abstient), cela a une conséquence, le comportement le plus « sage » est de faire cofiance au consensus scientifique.

      « Les faits scientifiques sont « fabriqués », ils ne sont pas donnés. Il ne s’agit pas de dévoiler un ordre sous-jacent à l’univers, mais plutôt de dégager des lois qui font globalement sens, pour nous aider à agir sur le monde. »

      Ca dépend, je pense. Le langage utilisé est « humain », mais certaines sciences ou faits scientifiques permettent de dévoiler « l’ordre de l’univers », comme tu dis. Pas tout. A mon humble avis 🙂

  8. Ping : C’est le 1 août, je balance tout ! – Des livres et les mots

  9. C’est beau que Gérald Bronner ai commenté en détail certaines de tes objections, et c’est beau que tu aies publié son commentaire à la suite de ton texte. Ce sera partagé demain sur la page FB des Cahiers antispécistes.
    J’ai une question un peu pointue (à laquelle Google ne m’a pas donné de réponse). Tu sais à quoi Gérald Bronner fait référence quand il parle de
    « paralogisme de l’asymétrie entre les conséquences de l’action et de l’inaction »?
    Je sais ce que c’est la symétrie que font souvent les utilitaristes/conséquentialistes entre action et abstention d’agir, en les mettant sur le même plan, et en critiquant ceux qui considèrent l’abstention d’agir comme une non-action ou une non-décision (la non-action a des conséquences comme l’action). Si c’est juste de ça que parle Bronner, j’ai ma réponse. Mais se pourrait-il qu’il fasse référence à une *critique* de cette symétrie faite par les conséquentialistes, auquel cas ça m’intéresserait de savoir où chercher pour trouver cette critique? NE FAIS PAS DE RECHERCHES si tu ne sais pas. Je tente juste ma chance au cas où ce serait évident pour toi, en tant qu’expert en sophismes.

    1. Je ne sais pas vraiment, honnêtement. En tant que tel (note entre parenthèses), ça m’a l’air assez sibyllin. Ton interprétation me paraît la plus logique, mais dans ce cas ça tomberait un peu comme un cheveu sur la soupe je pense.

    2. Merci pour ta réponse. Peut-être Gérald Bronner a-t-il simplement voulu suggérer que le raisonnement de David Olivier faisait appel à la symétrie entre action et inaction mais qu’il (Bronner) ne voulait pas s’arrêter à discuter ce point.

  10. Dommage que tu ne répondes pas à son retour… 😥 Ça serait bien que quelqu’un•e s’en charge. 🙏 Tant de choses à dire, mais je ne pense pas avoir la rigueur et le background intellectuels nécessaires pour ma part. Peut-être Thomas Lepeltier ou K&M ?

  11. Un pas de coté : et l’humanisme ? Le CO2 va très probablement faire de 1 à 7 milliards de victimes climatiques d’ici 100 à 200 ans. Chauffage, transport, industrie, alimentation : les petits ruisseaux font les… Et si on en mangeait moins de viande, et des viandes ou protéines plus vertueuses ? Et si la pédagogie ne marchait pas ? Tant pis ?

  12. Bonjour,
    Il parait compliqué de contacter Gérald Bronner, je n’ai malheureusement pas accès à son article d’origine sur Le Point qui est réservé aux abonnés. Je ne donnerai donc mon avis que sur les quelques citations parues ici.

    Gérald se défend en premier lieu de faire des généralités, quand il dit « Certains éléments se radicalisent chez les végans » il met en avant le fait d’utiliser le mot « Certains », pourtant plus tad il dit

    « Le plus inquiétant avec l’antispécisme est qu’il suit le chemin du totalitarisme »

    Cette fois la prudence pour ne pas englober tous les partisans de cette idéologie a disparu.

    Sur le terme en lui même, wikipedia n’est pas la vérité absolu mais on y lit :
    « L’antispécisme ne préconise pas de donner exactement les mêmes droits aux animaux et aux êtres humains, mais plutôt de leur accorder une considération morale fondée sur le critère de différences de capacités et non plus sur celui d’espèce. »

    De plus un adhérant au mouvement antispéciste me semble mieux placer pour définir le sens dans lequel le mot est majoritairement utilisé qu’un philosophe qui ne fait que rappeler l’étymologie de ce mot.

    Beaucoup de « vous avez tort de penser cela de moi car … » dans ce cas pourquoi ne pas avoir utiliser des termes plus mesurés plutôt que de faire un billet qui, de ce que j’en ai lu, semble assez stigmatisant, notamment le passage du large sous entendu qui voudrait que les antispécistes suivent une mode de recherche de coupables une « idéologie victimiste à la recherche de bourreaux » cela clôturerai le débat, c’est dans le même esprit que ce Gérald voudrait dénoncer ironiquement : des intentions peu louables, c’est une forme d’attaque ad personam, qui n’a pas vraiment de rapport avec le fond du débat.

    Des textes que j’ai lu de Gérald Bronner tous sont de très bonnes qualités, celui-ci ne m’a pas convaincu, je ne suis absolument pas militant vegan, antispéciste, juste un curieux de science et philosophie.

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