Les histoires cochonnes, c’est pas pour les enfants

En voyant les saucisses huileuses reposer, telles des sexes flasques et rutilants, dans le coin « viande » de la cantine l’autre jour (décoré de dessins de vaches qui ont l’air contentes d’être là), je me suis demandé où en était l’histoire de végétarianiser les cantines scolaires en France. Naaaaaan, pas véganiser, on n’en est pas encore là quand même.

Certains pays connaissent déjà ce genre de choses, à des échelles plus ou moins grandes. En Belgique, depuis 2009, la ville de Gand et son « jeudi sans viande » vont même plus loin car un jour de la semaine est officiellement végétarien (bon, je ne pense pas que les mangeurs de viande soient arrêtés et envoyés à l’abattoir s’ils enfreignent la règle). De nombreuses autres villes (San Francisco, Taipei… Heu… Bon, « nombreuses » est peut-être un peu exagéré) ont aussi leur jour sans viande.

Et même en France, les collectivités locales peuvent créer des « repas de substitution » pour permettre aux gens bizarroïdes qui ne mangeraient pas de porc par exemple de ne pas mourir de faim. Du coup, ces extrémistes de végétariens (pour pas vouloir tuer des animaux, faut vraiment être extrême) peuvent y trouver leur compte aussi.

Mais c’est au choix de la commune. Certaines ont fait des efforts en ce sens, avec plus ou moins de succès. Toulouse, par exemple, a bien compris ce que végétarien voulait dire :

A partir de septembre, les familles pourront choisir un menu comportant un « plat sans viande d’égale valeur nutritionnelle en matière de protéines », composé de poisson, d’œuf ou de steaks végétaux.

Rappelons que le poisson est une légumineuse, proche de la luzerne et du lupin, n’a ainsi pas de système nerveux, et peut être classé sans problème dans le règne végétal.

Mais bon, d’autres communes sont un peu plus au fait des choses. Et puis c’est l’intention qui compte ? Bref. Pau et Saint-Etienne se sont végétarianisées. François Bayrou, maire de Pau, faisait partie des rares à défendre l’instauration d’un menu végétarien dans les écoles. Et que cette volonté soit sincère ou relève de la manœuvre politique, franchement, je m’en balance.

En mars 2015, une tribune signée entre autres par Matthieu Ricard et Allain Bougrain-Dubourg demandait un menu végétarien dans les cantines :

Loin d’être dogmatique, notre proposition est avant tout pragmatique : le repas végétarien convient au plus grand nombre – musulmans, juifs, chrétiens, athées ou autres. Pour être juste, il conviendrait que cette alternative sans viande et sans poisson exclut le lait et les œufs, afin de satisfaire les végétaliens.

Le plat végétarien, et à plus forte raison végétalien, est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple pour les collectivités locales qui ne peuvent satisfaire des contraintes et des préférences alimentaires multiples. Le repas végétarien réunit tout le monde.

Loin des considérations religieuses, il répond aux convictions de tous ceux qui refusent de manger des animaux pour des raisons éthiques, par souci du bien-être animal et respect de la vie sensible. Pourquoi forcer leurs enfants à manger de la viande ou du poisson à l’école ?

Laisser le choix aux enfants est tout ce que nous demandons : ne pas les empêcher de manger de la viande s’ils le souhaitent, mais leur permettre de ne pas le faire. L’alternative n’enlève rien aux non-végétariens, tandis que le menu unique ôte à ceux qui ne mangent pas de viande, ou qui refusent le porc, le droit d’avoir un repas équilibré, qu’ils ont payé comme les autres. C’est discriminatoire et injuste.

En France, ni la loi du 27 juillet 2010 dite loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ni le décret ou l’arrêté du 30 septembre 2011 dits relatifs à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire ne mentionnent l’alternative végétarienne. Pis, l’Etat entend faire croire que toutes les sources de protéines ne seraient qu’animales. Or la France semble la seule en Europe. Dans aucun autre Etat membre il n’y a de loi ou de décret ayant une portée contraignante où le régime carné est tant sacralisé.

Une seule de ces considérations me gêne un peu, l’idée de permettre aux enfants de manger de la viande quand même. Dans l’idéal, les menus viande/poisson devraient disparaître. Ce n’est certainement pas le choix du cochon que de devenir une tranche de jambon. Mais bon, je comprends qu’il faut rester pragmatique, et que c’est peut-être trop ambitieux pour le moment, malheureusement.

Le député Yves Jégo avait quant à lui lancé un appel pour un menu végétarien dans toutes les cantines de France. La pétition sur change.org réunit environ 160 000 signataires à l’heure où j’écris ces lignes. Le texte de loi est sobre :

Après l’article L. 230-5 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 230-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 230-5-1. – Les gestionnaires, publics et privés, des services de restauration scolaire ainsi que des services de restauration des établissements d’accueil des enfants de moins de six ans, servant plus de 80 couverts par jour en moyenne sur l’année, sont tenus de proposer un menu végétarien en alternative au menu quotidien. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »

Plus ou moins à l’origine de tout ça, une décision en mars 2015 du maire de Chalon-sur-Saône de supprimer les « menus de substitution » (sans porc, quoi) des cantines. Parce que c’est vrai quand même : un Français qui mange pas de bacon, c’est quand même louche. He, c’est pas moi qui le dit, c’est m’sieur l’maire :

Proposer un menu de substitution dès lors que du porc est servi, c’est opérer une discrimination entre les enfants, ce qui ne peut être accepté dans le cadre d’une République laïque.

Parce que si le petit Jean-Michel crève de faim parce qu’il ne mange pas de porc, c’est pas discriminant, c’est de sa faute. Tu manges ce qu’on te donne comme un bon citoyen et tu fermes ta gueule. Elle a bon dos, la laïcité.

Nicolas Sarkozy avait à l’époque dit grosso modo la même chose. On l’entendait assez mal derrière toute sa suffisance et sa haine de l’autre, mais ça revenait à ça : « blablabla République blablabla cochon blablabla tous pareils blablabla yakékunkimadi blablabla gnnnnnaaaarhhhhhh ». Et je vous passe les différents commentaires dans les rubriques de tous les articles traitant de la question. Je me demande parfois si Hitler ne s’est pas réincarné en commentateur officiel d’articles sur internet.

Moralité : manger du porc, c’est un symbole de l’unité nationale, de l’appartenance au peuple français. Si tu regardes pas TF1 et le foot en chantant la Marseillaise et en mangeant du jambon, tu n’es pas français. Et quand tu vas à l’école, tant pis pour toi si tu dois te taper des carottes râpées et un bout de pain parce que tout le reste est carné et beurré : c’est pas comme si le service public devait être au service du public, lol mdr il est fou lui.

Blague à part, une alternative végétalienne obligatoire serait une très bonne chose. Bordel, on ne demande qu’une alternative (faute de mieux) ! Et je ne comprends pas que qui que ce soit s’y oppose : tous les arguments que j’entends sont des arguments pseudo-laïcistes qui dissimulent – mal – le racisme et l’intolérance des espèces de gougnafiers qui nous servent de représentants politiques. Comme si quiconque pouvait être agressé dans sa foi républicaine par la vision du steak de soja dans l’assiette de son voisin. Le bacon n’est pas un symbole républicain, que diable !

Donc, pour en revenir à mon questionnement originel, où en sommes-nous ? Pas très avancé, si ce n’est que Paris devrait avoir, dans chacune de ses cantines, un repas végétarien par semaine d’ici 2020. Pour la planète, pas pour les animaux, mais c’est déjà ça. Quant à la proposition de loi pour une alternative végétarienne partout, pas vraiment d’avancées pour le moment. Mais bon, comme on devient super à la mode, peut-être en reparlera-t-on !

10 réflexions sur “Les histoires cochonnes, c’est pas pour les enfants”

  1. « Rappelons que le poisson est une légumineuse » NON, le poisson est un animal qui ne pousse pas dans les prés, et qui souffre l’agonie une fois pêché, donc merci de surveiller vos propos.

    1. Heu… Je ne sais pas trop comment répondre à ça… C’est justement ce que je critique de manière ironique : que le menu végétarien proposé inclue le poisson, qui est effectivement un animal, et que cela contrecarre ainsi le principe même de menu végétarien… Je pense que PERSONNE au monde ne pense VRAIMENT que le poisson est une légumineuse… Faut-il que j’explique mes blagues maintenant ? Je vais avoir du boulot 😉

      1. ben oui, il n’a rien compris, l’autre !!!
        merci de mettre tant d’humour dans vos articles. Cela n’enlève rien au fond et en rend la lecture accessible à ceux qui ne sont pas végétariens. Cela change du discours hyper sérieux (je n’ai rien contre, il en faut aussi) qui risque de décourager les hésitants.

        1. Le discours hyper-sérieux, quand il est bien fait, est indispensable aussi. Je n’ai pas la prétention d’être aussi exhaustif que d’autres 😉

          Merci en tout cas !

  2. Ton blog est drôôôôle… Je vais suivre :). J’adore l’ironie!
    Cela dit c’est vrai que juste UNE alternative UN jour par semaine, oulà ça va prendre 3 ans si tout va bien…

  3. « Pas très avancé, si ce n’est que Paris devrait avoir, dans chacune de ses cantines, un repas végétarien par semaine d’ici 2020. Pour la planète, pas pour les animaux, mais c’est déjà ça. »
    Merci pour cette modération. Saluer un progrès, même minime et même s’il ne va pas aussi loin qu’on le souhaiterait, c’est à mon sens la preuve d’une grande ouverture d’esprit, propice à convaincre mieux que tous les intégrismes réunis.

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